"Le monde ne se maintient en vie que par le souffle des enfants qui étudient". (Talmud)
Cette ligne est tracée sur la page 9 d'un journal paru en mars 2012, premier numéro du mensuel titré L'Impossible. La lecture de ces pages a bouleversé nombre d'entre nous. Il y avait là du souffle transmis avec tant de fièvre et de joie, que des actes ne pouvaient qu'en éclore. Ce que nous avons osé à Ris-Orangis porte l'empreinte de ces lignes là, d'une certaine "politique de l'impossible" qui, page 7 du même journal, s'énonçait ainsi :
"L'éloge de l'art, de l'inédit, de la discorde, de la pensée, de l'espérance, de l'amitié, de l'invention, du désir, de la confiance, de la joie, du génie, de l'amour, de la langue, de la rêverie, de l'élégance, de la solitude, de la bonté ? Oui, je peux l'écrire, je peux l'illustrer. Mais l'éloge de la politique ?
Un mouvement dont s'éprendrait la jeunesse, une gaieté, une ardeur, des phrases drôles et des phrases tragiques pour dire le peu qu'il faut dire. Par exemple, cette injonction devenue obscène : Faites de la politique !
Ne respectez plus les puissants de ce monde, admirez de plus impressionnantes personnes. N'interrogez plus les savants de ce monde, palabrez avec de plus sages personnes. Ne négociez plus avec les influents de ce monde, traitez avec de plus considérables personnes. Ne charmez plus les séduisants de ce monde, affolez de plus étonnantes personnes.
Faites de la politique !
Racontez de drôles d'histoires et des histoires drôles.
Jouez !
Nous avons inventé ce petit objet pour les nuits blanches et pour les jours sans fête. Lisez-le, dispersez-le, donnez-le. Faites de la politique."
A l'impossible, nous sommes tous tenus. A Michel Butel, son fondateur, le PEROU s'avère ô combien redevable. C'est pourquoi il sera notre invité ce mercredi soir à l'apéropérou, toujours à 18h30, toujours aux Caves Dupetit Thouars.
Mercredi dernier, l'apéropérou était honoré de la présence de Patrick Bouchain, un autre de nos précieux compagnons, inspirateur et crucial conseiller s'il en est. De Ris-Orangis, que prolonger, qu'abandonner, que transmettre ? Comment ne pas sombrer avec ceux qui calculent en partisans, se positionnant sur le "problème Rom" en fonction des lignes sans poésie de leurs appareils. A distance de ces terrains esquintés, sur quel sol trouver appui pour "faire de la politique"? Occuper, s'approprier, transformer, quelles promesses portent ces verbes à l'heure où l'urbanisme anesthésie le territoire au point de le rendre inhabitable à tous, au delà du seul cas des Roms ? Trois heures de débats, récits, témoignages n'ont pas suffi pour répondre à toutes les questions qui se posaient, mais une sans doute fut éclaircie : qu'est ce qu'un apéropérou réussi ?
Dans le même temps, nous découvrions le petit film annonçant la sortie de La Place - Ris-Orangis, présenté au BAL le soir du 16 mai, et mis en vente sur le site des éditions illimitées (voir ici). A l'instar du livre, ce film est le fruit d'un montage des prises de vue réalisées par les habitants du bidonville. Quelques séquences littéralement inouïes le composent, comme un prêche parmi les nombreux qui eurent lieu dans l'Ambassade repérée par les Roms de toute l'Île-de-France comme un véritable lieu de culte.
Ce blog connaît un nombre de lecteurs assidus assez extravagant, signe que nous sommes bien plus nombreux que ce que nous le pensons, ou feignons de le croire : n'étant pas minoritaires, nous sommes bien davantage responsables que nous souhaiterions l'être de ce qui a lieu. Une mauvaise nouvelle s'est comme lovée dans la bonne nouvelle...
Mais l'optimisme reste de rigueur, d'autant que le nombre de lecteurs rassemblés autour de ce blog "en veille", et surveillant par là-même, semble avoir quelques effets sur le quotidien à Grigny : l'équipe municipale s'était affirmée hostile à toute espèce d'amélioration de l'espace de vie des familles vivant dans le bidonville reconstitué ; or voilà qu'une large benne a été installée aux abords des baraquements, et qu'un petit aménagement de la voie raconte que le véhicule qui viendra récupérer cette benne ne le fera pas qu'une seule fois. Cette bonne nouvelle doit être colportée, et le lien de ce blog disséminé à son tour : l'oeil rivé sur ce qui a lieu à Grigny, et toujours plus nombreux, peut-être conduirons nous l'équipe municipale à scolariser les enfants, installer enfin un point d'eau, aménager des sanitaires pour la centaine de personnes ici rassemblées, accompagner les adultes vers les dispositifs d'insertion existant, et faire ainsi s'établir durablement et pacifiquement les familles qui, qu'on le veuille ou non, habitent là.
En faisant vivre ce blog, en faisant écho à ce que cultive quotidiennement le collectif de riverains sur le terrain - combien de soins apportés aux personnes cette semaine, combien de rendez-vous à l'hôpital, de démarches auprès des services sociaux, de rendez-vous obtenus pour ouvrir des comptes bancaires, d'inscriptions au sein d'associations accompagnant les familles vers leur régularisation, etc ? - , en consignant les paroles et les actes des pouvoirs publics qui se positionnent tout autour, peut-être forcerons nous ces derniers à faire de la politique. C'est à dire à risquer d'autres chemins que celui dans lequel chacun se vautre par lâcheté et calcul partisan - ce qui ne s'avère qu'une seule et même attitude -, à savoir celui de la violence et du mépris.
Abords du bidonville, avenue des Tuileries à Grigny, 17 mai 2013 |