En avril dernier, Jean-Paul Curnier publiait aux éditions Lignes Prospérités du désastre, recueil non pas d'indignation, mais "d'aggravation". La thèse de l'auteur : les choses étant ce qu'elles sont (politiquement, socialement, moralement, culturellement), rien ne sert de prétendre y remédier, mieux vaut bien au contraire s'employer à les aggraver. Thèse étayée par ces quelques lignes, en quatrième de couverture :
"Alors, si ce monde va aussi franchement et volontairement à sa perte, autant qu'il y aille vite pour en vivre au plus vite le remplacement. Et il convient même de l'aider à chaque fois que cela s'avère possible. Pas de le critiquer ou de le condamner - c'est là une affaire hors de saison, une ancienne ferveur pour le sauver contre son gré ; non, il convient au contraire de faciliter toute chose sur la voie de laquelle il s'est engagé".
Alors que nous construisions encore, au mépris de la gravité. 2 juillet 2014, Grigny, terrain de la Folie. Photo : Jean-Pierre Le Hen |
Durant près de deux années de travail en Essonne, le PEROU a exploré une voie tierce, entre indignation et aggravation, celle de la construction. Il s'agissait ainsi de poursuivre une hypothèse de recherche : partant de l'extrême pauvreté des savoirs sur ce qui a lieu (des camps, des campements, des bidonvilles, des Roms, des nomades, des migrants, etc) comme sur ce qui pourrait avoir lieu (du harcèlement, des expulsions, des destructions, des obligations de quitter le territoire français, des villages d'insertion, etc), nous visions avec les outils de l'architecte notamment la rénovation du répertoire des questions comme celui des réponses relatifs à ces situations de violence rencontrées notamment à Ris-Orangis et Grigny.
Nous commettant avec le terrain occupé, avec les familles réfugiées, avec les riverains exaspérés, avec les associations indignées, avec les pouvoirs publics dépassés, avec en somme la constellation des acteurs liés à ces situations, nous souhaitions porter un regard non seulement actif, mais "embarqué", comme il se dit du journaliste "embedded" au sein des forces en conflit. Nous avons énormément appris, et nous efforcerons dans les mois à venir de transmettre ces savoirs conquis sur la scène d'une violence protéiforme, violence rencontrée parfois là où nous n'imaginions pas la trouver. Ainsi pourrons-nous mesurer le degré de pertinence de cette voie empruntée par le PEROU, à savoir celle de la construction : par la somme de savoirs que pourraient en récolter d'autres que nous qui souhaiteraient agir au beau milieu d'autres désastres que ceux de Ris ou Grigny.
Article publié le 10 juillet dans Le Républicain, hebdomadaire de l'Essonne. |
La dissolution du bidonville de la Folie est aujourd'hui si vaste que construire est devenu hors de portée : habité par des familles désormais sans espoir, le terrain n'est plus que cloaque, le cinéma que misère. Aggraver le cas des acteurs responsables d'un tel désastre pourrait finalement s'avérer la seule voie qui vaille.
Aggraver le cas de cette Mairie communiste en premier lieu qui, apprend-on la semaine dernière, n'accueillera sur son territoire aucun projet d'insertion, en dépit de toutes les rumeurs savamment orchestrées ces dernières semaines. Toute la panoplie du cynisme et de la lâcheté aura été explorée par cette équipe municipale dont la seule représentation auprès des familles aura été assurée par le "Directeur Prévention, Sécurité et Hygiène", signe de l'assimilation par ces grands humanistes de la philosophie sarkozyste selon laquelle la condition des migrants relève du domaine de la sécurité. Toutes les stratégies auront été développées, en s'appuyant notamment sur quelques fidèles camarades membres de l'Association de Solidarité de l'Essonne avec les Familles Roumaines et Roms, pour casser le travail entrepris par le PEROU et faire se diviser les familles à son sujet : rumeurs insistantes sur les finances de l'association et la fortune de ses responsables, diffamations en tout genre soigneusement colportées jusque bien au-delà de l'Essonne, formes plus ou moins raffinées d'insultes proférées aussi régulièrement que faire se peut, etc.
Aggraver le cas de ce Préfet de l'Essonne dans le même mouvement, représentant de l'Etat sans doute, mais manifestement pas des textes de la République. Certes, ce dernier a-t-il enfin consenti la semaine dernière à ce que la "base de vie" de Ris-Orangis s'ouvre à de nouvelles familles, et 6 parmi celles avec lesquelles nous oeuvrions à Grigny ont été "sélectionnées" pour y être accueillies jusqu'à décembre 2015. Le reste, rebut (une trentaine de familles donc) parmi le rebut, sera par conséquent sous son autorité "dégagé" du terrain de la Folie, invité à trouver sa vocation ailleurs. Un ailleurs qui, entre nous soit dit, s'avère si proche que ce même Préfet aura dans quelques mois la piètre besogne de répéter ce même geste à l'endroit des mêmes familles.
L'aggravation du cas de ces acteurs publics passe sans doute par la grande publicité faite à ces décisions d'une immense incurie, mais aussi par un art d'en rire aussi bruyamment que possible. Car la violence leur sert de parure royale, costume sombre de l'homme responsable, et la colère comme l'indignation qu'elle suscite, sinon excite, fonctionnent telles des confirmations de cette détestable stature. Sous les coups de butoir du rire féroce, cette violence pourrait enfin apparaître simplement grotesque, à l'image de la politique que ces "responsables" conduisent.
Grotesque puisqu'il est probable que de tels événements puissent à nouveau survenir. Grotesque puisqu'il est probable que les familles expulsées se réinstallent à Grigny ou à Ris-Orangis. Grotesque puisqu'il est probable que les mêmes acteurs-Shadocks pompent et pompent lamentablement des années encore. Grotesque puisqu'il est probable qu'ils déploient de nouveau des moyens considérables pour des résultats aussi considérablement nuls.
Seul argument pour leur défense : leur cas n'est pas isolé, puisque cet été la vacance politique est généralisée, commandant qu'on expulse jusqu'à l'ivresse à Viry-Châtillon (menace d'expulsion imminente est faite aux familles du bidonville du Bellay, où nous avions également travaillé avec l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Bretagne, présenté ici), comme à Calais (lire ici la tribune publiée hier dans Libération signée notamment des chercheurs que nous sommes). Il est donc nécessaire, jusqu'à l'ivresse également, de faire suivre ce flyer annonçant l'ultime spectacle du Festival de la Folie, le plus grotesque d'entre tous :