"L'ambassade du PEROU à Ris-Orangis est un repère - un espace visible - et un observatoire - un lieu qui regarde -. Décrire ce qui a lieu dans un bidonville situé sur le territoire européen, telle est l'ambition de ce blog. Exactement, il s'agit de décrire l'humanité qui a lieu, l'humanité qui fait lieu" (décembre 2012). Le 3 avril 2013, tout a été détruit, sauf l'essentiel. A Grigny, où vivent aujourd'hui les familles, nous continuons d'oeuvrer pour que l'on construise enfin.
lundi 11 novembre 2013
Communiqué du 11 novembre
Les deux documents annoncés dans le communiqué, documents versés au dossier de la défense des familles du bidonville de la Folie :
- Une représentation graphique du coût de la destruction du bidonville de la Place de l'Ambassade à Ris-Orangis, bidonville d'où est issue la plupart des familles présentes sur le terrain de la Folie à Grigny.
Document réalisé par Ruben Salvador, architecte, diplômé de l'Ecole des Arts Politiques (Sciences Po Paris)
- Un scénario du projet de transformation du bidonville existant de telle sorte à stabiliser les lieux, et permettre que les familles y demeurent le temps qu'un projet d'insertion soit mis en place.
Document réalisé par Charlotte Cauwer, architecte, enseignante à l'Ecole Nationale d'Architecture de Paris la Villette.
dimanche 3 novembre 2013
Commune défaite (Sur le film du PEROU)
" Si le nom et l'identité de quelque chose comme la ville ont encore un sens et restent l'objet d'une référence pertinente, une ville doit s'élever au-dessus des Etats-nations ou du moins s'en affranchir, pour devenir, selon une nouvelle acception du mot, une ville franche quand il s'agit d'hospitalité et de refuge. " (Jacques Derrida)
Jacques Derrida a vécu 36 ans à Ris-Orangis. Il y est aujourd'hui enterré. Celui qui écrivit des lignes puissantes sur "l'hospitalité inconditionnelle", celle consistant à accueillir un homme sans lui demander de comptes, aurait sans doute honte de ce qui aujourd'hui tient lieu de politique dans sa ville. A l'inconditionnalité, à l'hospitalité même, les élus opposent une pauvre théorie de la responsabilité répétant qu'il serait fou d'accueillir à bras ouverts. Ils méprisent ainsi la seule raison d'être de la ville, celle qui la fait se distinguer d'un désert de sens, d'un enclos sans avenir. Faire commune ne peut consister à autre chose qu'à faire l'hospitalité, et à cette fin inlassablement réinventer l'espace, ses formes mais aussi son droit comme son économie. A Ris-Orangis, 10 ans après la mort de Derrida, on détruit ce qui s'invente : il y a 7 mois désormais, on a détruit la Place de l'Ambassade ; dans les jours à venir, en vertu d'une décision du juge en date du 25 octobre, on détruira les deux bidonvilles jouxtant l'hippodrome et la "base de vie", toujours déserte. Des familles entières ont été et seront de nouveaux poussées plus loin, destinées à rencontrer la similaire hostilité d'un "responsable" d'une commune voisine.
Dans le prolongement de Ris-Orangis, s'étend la commune d'Evry, berceau politique d'un Ministre de l'Intérieur officiellement raciste. Celles et ceux qui vécurent Place de l'Ambassade avaient pour la plupart fuit les lisières de ce chef-lieu du département de l'Essonne, lisières nettoyées par Manuel Valls avant qu'il obtienne consécration gouvernementale. Son successeur n'est au demeurant pas en reste, ordonnant qu'on expulse et détruise sans s'embarrasser de quelque procédure judiciaire que ce soit. Sans doute gonflé par l'aura de son prédécesseur, ce Francis Chouat va jusqu'à fièrement déployer son programme dans les pages du Monde en date du 18 octobre, y répétant le mot "vérité" à tour de bras, et s'efforçant par là même de démontrer que quiconque s'oppose à l'hostilité dont il se fait le chantre verse dans l'antirépublicanisme et le scandaleux mensonge. Jacques Derrida eut diagnostiqué la grande faillite politique d'un régime servi par de tels idéologues s'acharnant à faire la guerre plutôt qu'à faire la ville.
Extrait du film du PEROU |
Dans le prolongement de Ris-Orangis, s'étend la commune d'Evry, berceau politique d'un Ministre de l'Intérieur officiellement raciste. Celles et ceux qui vécurent Place de l'Ambassade avaient pour la plupart fuit les lisières de ce chef-lieu du département de l'Essonne, lisières nettoyées par Manuel Valls avant qu'il obtienne consécration gouvernementale. Son successeur n'est au demeurant pas en reste, ordonnant qu'on expulse et détruise sans s'embarrasser de quelque procédure judiciaire que ce soit. Sans doute gonflé par l'aura de son prédécesseur, ce Francis Chouat va jusqu'à fièrement déployer son programme dans les pages du Monde en date du 18 octobre, y répétant le mot "vérité" à tour de bras, et s'efforçant par là même de démontrer que quiconque s'oppose à l'hostilité dont il se fait le chantre verse dans l'antirépublicanisme et le scandaleux mensonge. Jacques Derrida eut diagnostiqué la grande faillite politique d'un régime servi par de tels idéologues s'acharnant à faire la guerre plutôt qu'à faire la ville.
Extrait du film du PEROU |
Grigny complète ce paysage politique de misère. Au diapason de leurs voisins qu'accessoirement ils exècrent, les élus de cette ville où se trouvent aujourd'hui les familles de la Place de l'Ambassade envisagent un même carnage : expulsion et destruction. Sans doute espèrent-ils secrètement que les familles s'en retournent à Ris ou Evry, comme un manège sordide, sorte de ballon prisonnier où ce sont des vies avec lesquelles on joue. Ici comme ailleurs, on s'acharne précisément à ce que ces vies ne deviennent pas trop manifestes : des membres du parti communiste s'affirmant militants "pro-Roms" (entendre "anti-socialistes", et comprendre "pro-Mairie") ont déployé la semaine dernière tout ce qu'ils pouvaient de misérable stratégie pour empêcher la tenue dans le bidonville d'un spectacle de danse flamenco organisé par des riverains. Ici comme ailleurs, il ne faut pas que la vie s'accroche de trop sur le sol argileux, de peur que l'on ne puisse s'en débarrasser facilement. Ici comme ailleurs, il faut que nettoyage se passe sans laisser de traces dans les consciences républicaines. Le vendredi 15 novembre à 9h30, au Tribunal de Grande Instance d'Evry justement, lors de l'audience consacrée à cette énième expulsion, il nous faudra être très nombreux pour entendre l'invraisemblable argumentaire de la Mairie, et en témoigner alentours.
Extrait du film du PEROU |
Jacques Derrida publia en 1997 un petit livre titré "Cosmopolites de tous les pays, encore un effort !". En 2013, un seul effort n'y ferait rien, tant le désastre est vaste alentours. Et pourtant, faire l'hospitalité à celles et ceux qui migrent jusque sur les terres où vécut le philosophe est la seule perspective qui puisse se concevoir. C'est ce que nous avons entrepris : esquisser, par les actes, le dessin d'une ville franche, parce qu'hospitalière. C'est ce que nous avons consigné dans le court métrage "Considérant qu'il est plausible que de tels événements puissent à nouveau survenir", où les images de ces actes font face à la logorrhée de la commune défaite. Ce film est accessible ici, avec le mot de passe "risorangis".
mercredi 16 octobre 2013
Lampedusa est une île bien lointaine
Tout concourt à ce que nous demeurions à distance de ce qui a lieu, des baraques, des bidonvilles, des multiples chemins sur lesquels s'écrivent des histoires qui doivent nous demeurer étrangères. Tout s'organise afin que personne ne puisse témoigner de l'humanité qui fait lieu sur des territoires où l'on ne doit cesser de voir s'étendre un désert. Tout est dans l'art de maintenir un périmètre de sécurité tout autour de cette humanité là, et d'ainsi fabriquer à grande échelle de l'ignorance, de l'impuissance. Afin que l'aveuglement demeure, et que se poursuive le délire qui aujourd'hui tient lieu de politique : la chasse aux improductifs, ces êtres à l'identité incertaine assignés à résidence des lisières.
Il y a les grandes manoeuvres, la répétition jusqu'à l'ivresse de catégories dont personne ne connait le sens et, par là-même, le tourbillon d'une controverse si assourdissante que chacun en devient comme possédé. Quel bruyant défenseur des "Roms"est aujourd'hui capable d'expliquer à son voisin qui, parmi la multitude, s'avère effectivement Rom, et ce que cette identité recouvre précisément ? Combien de journalistes spécialistes de la dite "question Rom" ont lu, et vaguement compris, la page wikipedia relative au terme en question, sommet de brouillard s'il en est ? Lequel des ministres de l'Intérieur aujourd'hui en poste saurait produire une once de lumière sur ce sujet ? Lesquels d'ailleurs parmi les prétendus Roms s'affichent ainsi aux yeux du monde, "Roms" comme on revendiquerait une politique d'exception à cet endroit ? Dans une sobre et précise tribune parue dans Libération le week-end dernier, Cyrille Lemieux apporte un argument on ne peut plus élémentaire : aux défenseurs comme aux détracteurs des Roms, leur apprendre que l'altération des identités a, qu'on le veuille ou non, déjà eu lieu (lire ici). Dans un entretien paru dans Médiapart le 9 juillet dernier, l'anthropologue Michel Agier d'avancer quelques éléments supplémentaires au sujet de ce processus de réification d'une identité fantasmée :
Dans le contexte de la mondialisation, les Roms, ou plutôt ceux qui sont désignés comme tels, sont utiles au pouvoir. Au moment où les Etats-nations périclitent, où la crise économique fragilise les sociétés occidentales, les gouvernants ont besoin de ce nom pour créer un dehors. Ils ont besoin de faire croire à leur altérité absolue, de les constituer en étranger ennemi, pour faire exister leurs frontières. Expulser des Roms est une manière de produire de la nationalité, tout comme expulser des Afghans ou reconduire à la frontière des migrants venus d'Afrique.
Et le directeur de recherche de l'EHESS, collaborateur du Laboratoire d'anthropologie urbaine, auteur ces dernières années de "Je me suis réfugié là", ou encore de "La condition cosmopolite" (lire ici), de poursuivre :
Il est intéressant de noter que l'on a cessé de parler de bidonville, pour parler de campement rom. La notion de bidonville inclut la reconnaissance d'être dans la ville, son usage met en évidence la responsabilité des pouvoirs urbains et politiques. Avec le camp, on bascule dans l'exception. Outre son poids historique évident, ce terme place les personnes qui y vivent en dehors de la ville, de la responsabilité urbaine.
Avec les membres du PEROU, nous nous sommes employés à faire pencher le bidonville vers la ville, à recoudre l'ici et l'ailleurs, travail au corps à corps que nous tenons comme un art sans doute parmi les plus incisifs de lutter contre l'aveuglement qui a cours. Ce notamment afin d'altérer les termes même d'une controverse comme routinisée, ne produisant que du désastre. Ce afin de créer, avec nos outils spécifiques, de nouvelles relations jusqu'à faire advenir l'hospitalité qui ne peut pas ne pas avoir lieu. Ce donc afin de faire "commune", à l'instar de ce qui aujourd'hui a lieu à Lampedusa, petite île dont les habitants, pouvions-nous lire dans la presse ces derniers jours, "irradient d'hospitalité". Voici qui ne fait qu'accentuer, par contraste, la noirceur des territoires que nous connaissons... D'ailleurs, si ni Ris-Orangis ni Grigny, ni même Paris, n'ont été proposées pour figurer au rang des postulants au Prix Nobel de la Paix, ça n'est pas le cas de cette île de pêcheurs italiens défendue à ce titre à la force d'une saisissante tribune parue dans Le Monde il y a quelques jours (à lire ici).
Echoués Place de la Bastille à Paris, été 2013. Photo : Marc Malik |
C'est que la politique de cécité n'est pas le seul fait d'un pouvoir global, et des stratégies nationales abjectes qu'aujourd'hui nous connaissons : à l'échelle locale, les pouvoirs constitués gagnent également à ce que cet aveuglement s'épaississe, permettant de refouler avec désinvolture, et de renvoyer ainsi les hommes et leurs questions à la responsabilité d'un autre toujours plus éloigné, comme si les pêcheurs italiens renvoyaient les Erythréens à la mer au prétexte qu'ils n'auraient pas vocation à s'insérer ici, ou qu'il s'agirait là d'un fardeau qu'il reviendrait à l'Etat ou l'Europe de "prendre en charge". Il en va ainsi des candidates à la Mairie de Paris : "Paris ne peut pas être un campement géant" selon l'une ; l'autre déplorant que "les Roms harcèlent les parisiens" ; l'une et l'autre préconisant que l'on expulse, et renvoie la question à un autre hypothétique, à un lointain responsable. Il en va ainsi de la position de la Mairie de Grigny qui, tout en s'autoproclamant juste parmi les justes, demande l'expulsion des familles du bidonville de Grigny non sans désigner l'Etat socialiste comme responsable du désastre, et donc responsable de sa résolution. Ainsi exige-t-on bien entendu que l'hospitalité soit faite, mais au-delà de ses propres frontières. Sur le sujet, nous avons d'ailleurs échangé une correspondance avec le Maire, correspondance dont le dernier épisode est reproduit ci-dessous.
Il y a les petites manoeuvres, non moins efficaces, celles minant également le terrain, faisant obstacle à toute forme d'action dérogeant aux lois de l'inhospitalité. Ainsi du travail laborieux d'un membre du Parti Communiste local, au demeurant fonctionnaire de la Communauté d'Agglomération des Lacs de l'Essonne, arpentant quotidiennement le terrain pour enfoncer dans l'impuissance celles et ceux qu'il nomme mécaniquement "nos amis Roms". Allié de la Mairie par des liens partisans confinant au sectarisme, reconnu comme tel - émissaire du souverain - par les familles qui de ce fait ne peuvent cesser de le respecter et de le craindre en même temps, celui-ci répète inlassablement combien le PEROU est dangereux, et combien laisser celui-ci intervenir sur le terrain de la Folie ferait se "fâcher" la Mairie qui, jure-t-il, les protège. Infantilisant comme il respire, le militant prêche et menace : un seul geste du PEROU et la Mairie expulsera comme en représailles !
Aux enfants, on cache les histoires scabreuses. Alors l'émissaire omet de raconter aux familles que c'est bien le souverain Maire de Grigny qui, le 12 juillet, leur faisait distribuer une assignation à comparaître devant le juge, exigeant des pelleteuses qu'elles nettoient le territoire des traces de leur existence. Tout était déjà écrit le 11 juillet, dans un improbable tract prétendument envoyé par les familles pour inviter les élus à une rencontre placée sous l'égide de la "solidarité". Là, on faisait dire aux "amis Roms" : "Nous savons que Grigny est une Commune qui connaît de grandes difficultés. Nous mesurons d'autant plus ce que vous faîtes pour nous". Formule on ne peut plus hilarante, si ce n'est affligeante, tant sur le terrain pas l'ombre d'un point d'eau, encore moins de quelque projet d'insertion que ce soit, n'était à ce jour repérable. Une phrase magistrale concluait l'affaire : "Nous nous faisons un devoir de tenir les lieux aussi propres que possible et de nous tenir correctement". Le lendemain, vendredi 12 juillet au petit matin, en convoquant les "amis Roms" devant la justice, ce sont les élus qui manifestement ne se tenaient pas correctement.
Puisqu'il ne maîtrise pas un brin la langue roumaine, l'ami des Roms si bienveillant à l'endroit de la Mairie de Grigny s'arme parfois d'un interprète patenté, jeune roumain habitant Viry-Châtillon et accessoirement employé par la Communauté d'agglomération dont il dirige les ressources humaines. Lors de régulières réunions prétendument faites pour informer, ce Roumain est chargé de déverser en langue maternelle des insanités sur le compte du PEROU. En l'entendant ainsi faire le samedi 5 octobre, la médiatrice du PEROU le prit à part pour lui demander comment il lui était possible de raconter de telles énormités. Pâle de honte, et s'excusant simultanément, le jeune homme de lui répondre : "Je répète ce que dit mon patron". Nulle vergogne pour servir la bonne cause ! A savoir : empêcher les membres du PEROU de faire ce qu'il y a à faire, de nettoyer et construire les sanitaires que les femmes en particulier s'autorisent de demander quand on leur donne la parole, d'oeuvrer enfin après avoir constaté le désoeuvrement organisé 6 mois durant ; empêcher ainsi de produire aux yeux du juge qui prochainement va statuer les preuves qu'un bidonville n'est pas fatalement la débâcle que l'on dit ; empêcher donc que la défense des familles s'organise de trop, empêcher alors que cette défense en vienne à convaincre le juge, à bloquer l'expulsion, et à conduire la Mairie à mettre en oeuvre, enfin, un véritable projet d'hospitalité.
La stratégie d'intimidation paie, comme le constatait effarée la médiatrice du PEROU : "Il manipule à souhait parce qu'il a compris une chose, cruciale et dramatique : que ça fait 5 siècles que ces familles ont peur". Effectivement : la peur était tant et si bien palpable ces jours derniers que nous avons pris la décision de ne rien mettre en oeuvre, et de nous consacrer à défendre les familles sur le terrain judiciaire. Un collectif d'architectes - Polyèdre, déjà intervenu sur le terrain de la Folie en juillet - ne s'est pas complètement fait à cette idée, tout comme Didier Galas et Vassili Silovic qui souhaitaient dans l'élan du nouveau chantier entamer une résidence théâtrale, tout comme les étudiants du DSA Risques majeurs de l'Ecole d'architecture de Paris Belleville. En leur nom, avec leurs propres moyens et méthodes, ceux-ci ont déployé une tente jeudi dernier, un "Atelier mobile" ayant pour fonction de permettre que soient dessinées, avec les familles finalement apaisées et heureuses qu'un chantier s'annonce tout de même, les transformations à venir. Alors renaissait l'idée de construire des douches, requête formulée et reformulée par les femmes notamment. Las : la propagande a repris de plus belle le lendemain matin, les familles ont été remises au pas sur le thème de la colère municipale, grandissante et immédiatement menaçante. En une heure, les hommes présents sur le terrain en venaient à formuler virilement qu'ils n'avaient surtout pas besoin de sanitaires. Ecoeurés, les architectes pliaient bagages et laissaient les familles seules avec leur "protecteur".
L'atelier mobile, éphémère s'il en est : sitôt monté, sitôt démonté. |
Ces petites manoeuvres pas moins que les grandes expliquent le désastre qui a aujourd'hui cours dans nos contrées. Les unes et les autres témoignent d'une violence protéiforme : violence d'Etat, colportée par chacun de nous et participant d'un "populisme liquide" tel que diagnostiqué par Raphaël Liogier dans Libération ce week-end (à lire ici) ; violence des relations quotidiennes telles que cliniquement analysées par Frantz Fanon, et en particulier violence de ces postures paternelles et protectrices consistant en la soumission des "damnés de la terre", en leur fixation au rang de colonisés. Analyser ce désastre, en déplier et exposer publiquement les logiques, est de notre responsabilité, nous chercheurs du PEROU et d'ailleurs qui avons entrepris de renouveler le répertoire des savoirs sur ce qui a lieu, en vue de frayer le chemin à d'autres réponses, à d'autres politiques. Pour ce faire nous travaillons notamment à la publication des savoirs que nous rapportons jour après jour de ces situations, et nous efforçons de les transmettre d'ores et déjà, comme en atteste la publication dans les pages "coups de coeur" du journal de la CGT d'un entretien titré "Construire plutôt que détruire", entretien donné au moment même où quelques émissaires du parti central s'activaient pour que l'on ne construise pas...
Ainsi travaillons-nous à nous équiper davantage, et ce en débattant également avec des personnes que nous tenons pour des éclaireurs, tels que Michel Agier que nous accueillons demain jeudi lors de notre Apérou bimensuel. Ainsi prolongerons-nous les rencontres entamées il y a quinze jours lors de la réception de nos amis d'Echelle Inconnue. Avec ces derniers, nous avions diagnostiqué l'entreprise belliqueuse que s'avère l'urbanisme contemporain : contrôler le territoire, le rendre impraticable à l'humanité débordante, et en dernier recours soumettre les hommes tant et si bien qu'ils abandonnent l'idée même qu'une révolte est possible. Grigny, dans le prolongement de Ris-Orangis, est un laboratoire malheureusement parfait de cette guerre là. Lampedusa est, pour nous-même, une île bien lointaine.
mercredi 2 octobre 2013
Le temps
Un mois durant, ce blog est demeuré silencieux, comme en retrait : non pas l'absence, mais l'observation des mouvements, leur consigne clinique, silencieuse et appliquée.
Un mois, le temps du passage de l'été à l'automne et, ce faisant, la boucle d'une année réalisée : à l'automne 2012, nous découvrions le bidonville de Ris-Orangis, le harcèlement policier, l'errance répétée, la déroute politique, mais aussi les visages et le désir naissant de construire une autre histoire. Les pieds dans cette mêlasse, nous avons cheminé, frayé, par des actes obstinés, des chemins plus ou moins heureux. Les dizaines de billets de ce blog valent consignes de ce cheminement, mais un document rétrospectif et en images vaut peut-être mieux. Il est à télécharger sur le site du PEROU, ici.
Ainsi pouvons nous notamment comprendre que la France est, en 2013, un pays prétendument en paix dont une dimension de sa politique intérieure consiste à détruire systématiquement des lieux de vie. Ainsi pouvons-nous comprendre que la France est, en 2013, un pays en guerre.
C'est notamment ce dont nous débattrons samedi 5 octobre, aux Salaisons à Romainville (voir ici) où à partir de 19h, nous projetterons les films que nous avons réalisés chemin faisant.
Pour raviver la mémoire, d'autres images étaient cet été diffusées sur Médiapart qui ouvrait l'espace d'un portfolio consacré à La Place Ris-Orangis, portfolio visible ici.
Place de l'Ambassade, Ris-Orangis, 12 septembre 2013 Ici habitaient 150 personnes il y a un an |
Un mois, le temps d'atermoiements, d'un blocage, d'un enlisement enfin. Il en va ainsi du projet d'établissement temporaire des 38 personnes régularisées : le 3 avril, pendant que les pelleteuses s'acharnaient, on jurait grand Dieu à ces personnes que dans deux semaines, trois semaines tout au plus, elles seraient installées dans un lieu de vie à Ris-Orangis. Exactement 6 mois plus tard, le lieu est désert : les aménagements techniques sont réalisés, les meubles installés par la communauté d'Emmaüs de Longjumeau, les lits presque faits. Mais le projet est aujourd'hui dans le plus épais des brouillards. Il y a de cela 10 jours, nous adressions une lettre au Président du Conseil Général, en copie au Délégué interministériel, au Préfet de l'Essonne, et au Maire de Ris-Orangis. Mis à part le soutien indéfectible que nous a réaffirmé le Délégué interministériel dès réception de ce courrier, nous n'avons reçu aucune réponse des autorités locales. Pendant ce temps, les familles désespèrent. Pendant ce temps, le contribuable se ruine pour maintenir ces familles dans les structures d'hébergement du département comme pour payer un gardiennage à temps plein pour éviter que quiconque s'installe... Pendant ce temps, nous consignons donc la défaillance. Copie de cette lettre, avec les documents joints, est reproduite ci-dessous.
Un mois durant, la Mairie de Grigny a pour sa part rongé son frein : audience était fixée au 27 août pour le procès que cette Mairie a engagé contre les familles occupant le terrain de la Folie, et nous avons obtenu son report. Nouvelle audience devrait être programmée dans les semaines à venir. Un mois, pour notre part, à consolider la défense, réunir nombre de pièces pour raconter la même défaillance ici qu'ailleurs, et tout ce qui devrait être exploré qui ne l'est pas, et la répétition du même qui menace, absurde, insensé, bientôt parfaitement inqualifiable.
Un mois parallèlement à consigner les actes sur le terrain : le ramassage des ordures par la municipalité un brin plus hésitant, comme si l'on se disait dans les couloirs municipaux que l'encroutement du terrain pourrait permettre si besoin était de plaider le péril, et d'augmenter ainsi les chances d'expulsion ; les discours des quelques émissaires de la Mairie qui, sur le terrain, racontent tranquillement que c'est non pas la Mairie qui expulse, mais l'Etat, et sa police, et son irresponsabilité, et sa xénophobie. Une pincée de lâcheté pour donner à l'ensemble des opérations son goût rance : le parfum de notre misère politique.
Le 3 septembre 2013, en lisière du terrain de la Folie Comme une invitation faite aux rats |
Un mois pendant lequel les CV ont fait leur petit bonhomme de chemin. Beaucoup de presse, comme Rue 89 ici, l'Express ici, le Point ici, et des télévisions : Direct 8, Canal +, France 3. Et quelques employeurs qui se manifestent : aujourd'hui, deux entretiens d'embauche sont programmés. Etonnant de voir combien des personnes jugées non-insérables par une enquête sociale il y a quelques semaines, et décrétées toujours aussi non-insérables par un Ministre de l'Intérieur délirant, peuvent tracer leur route parmi nous, à la condition que nous en ayons la ferme intention. Le projet doit prendre son envol, des propositions d'embauche se trouver, et c'est donc l'occasion de rappeler que les offres d'emploi sont absolument les bienvenues.
Le 3 septembre 2013. Photo : Aude Tincelin |
Un mois à poursuivre les recherches, penser des textes, des images, des récits et des rencontres, pour transmettre ce que nous avons appris, ce que nous apprenons, et apprendre de ceux qui agissent ici et ailleurs avec la même intention : respirer, créer l'espace politique qui nous manque. Pour ce faire, respirer, boire et manger, inviter et inventer, nous reprenons les Apérou qui se tiennent désormais un jeudi sur deux aux Caves Dupetit Thouars, 12 rue du même nom, au métro République. Une soirée pour faire l'état des lieux des actions en cours comme à venir, en compagnie d'invités nous aiguillant de leur regard, de leur expérience. Demain, jeudi 3 octobre à 19h, nous accueillons Echelle Inconnue, collectif protéiforme qui travaille avec nous à Paris, en collaboration avec les Enfants du Canal (voir la définition du projet ici), et avec lequel nous évoquerons ses expériences passées dans le bidonville du Havre détruit il y a quelques semaines, et dans celui de la Soie à Villeurbanne, il y a quelques années déjà. De cette dernière expérience, un film est né, que l'on visionnera ensemble : "Une ville détruite par des hommes en uniforme".
Durant la soirée, Francesco Careri, cofondateur du collectif italien Stalker nous rejoindra. Comme un parrain du PEROU, et de bien d'autres collectifs européens aujourd'hui, Stalker nous a montrés la voie des chemins de traverse, des "territoires actuels", des actes souverains et des villes à faire émerger de ceux-ci. Pour mémoire, lire leur manifeste ici, manifeste écrit en 1996 et bien entendu d'une actualité toujours vive.
Avec ces camarades là, peut-être évoquerons-nous les temps qui ne peuvent pas ne pas changer, les mots de Manuel Valls, étranger à notre temps, la tribune que nous avons publiée sur Médiapart en réponse à ces mots délirants et sans avenir (à lire ici). Et peut-être évoquerons-nous l'avenir précisément, les actes qui ne peuvent manquer de se faire. Pour laisser le moins de place possible à ce qui se défait. Pour ne pas laisser de place à la défaite.
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