Aujourd'hui 31 mars s'achève la dite "trêve hivernale". Demain, des familles entières pourront légalement être jetées à la rue, expulsées de leurs lieux d'habitation, éloignées "au vent mauvais, pareil à la feuille morte", sonne la Chanson d'automne de Paul Verlaine. La politique d'hostilité s'en remet au thermomètre : à température clémente, nulle clémence espérer. L'hospitalité est un pis-aller, un geste contraint par les saisons maussades : pas l'once d'une politique aux commandes, seul gouverne le ciel et, derrière les nuages, l'abandon de tout, le mépris pour l'humanité menaçant de n'être pas productive. Le réchauffement global, savamment prophétisé, annonce en un sens un vent de soulagement : sous le soleil radieux et généralisé, nul ne s'offusquera de corps flanqués sur les trottoirs, et chacun pourra douze mois par an reprendre une activité normale élaborée sur la peur qu'un autre vous dépossède.
Aujourd'hui 31 mars, on disserte et débat au sujet de vagues et tremblements de terre : tsunami bleu, tonnerre bleu marine, engloutissement des citadelles roses. A Grigny, aucune secousse n'a été ressentie : le Maire communiste, Philippe Rio, fut réélu dès le premier tour. On ne peut croire que ce dernier s'en réfère à l'almanach pour décider du sort de la quarantaine de familles occupant aujourd'hui le terrain de la Folie. Signe de réchauffement : un point d'eau a été installé à proximité du bidonville par la Commune entre les deux tours des élections, élégante fontaine bleue et or où les familles s'alimentent désormais pour toilette et cuisine. Signe d'enthousiasme : ce week-end, les familles ont décidé de se cotiser pour, mensuellement, faire un don au CCAS (Centre Communal d'Action Sociale) de la Ville en échange de ce providentiel aménagement. Sur la base de cette nouvelle relation de confiance, gageons qu'un travail se mette rapidement en place afin que le bidonville se résorbe sans pour autant que l'avenir des familles s'obscurcisse davantage. Une réponse constructive, exemplaire, en rupture avec l'hostilité qui aujourd'hui prévaut est à portée de main. Nul ne comprendrait que les acteurs publics ne s'en saisissent.
La Fontaine de la Folie 29 mars 2014 |
Sur la passerelle réparée ce week-end Grigny, La Folie, 29 mars 2014 |
Aujourd'hui 31 mars, Manuel Valls quitte l'Intérieur, pour entrer davantage encore dans l'espace politique français : tel est le nom du nouveau Premier Ministre de la République française. Les cieux s'obscurcissent, tant le programme politique de cet enfant d'immigré espagnol ne comporte pas l'ombre du mot "hospitalité". On ne meurt pas plus à la rue en hiver qu'en été, n'en déplaise à tous les poncifs échangés sur la question. Par contre on y meurt nombreux, et n'y survit qu'avec effroi, lorsque le climat politique se dégrade au point que les idées les plus basses obtiennent statut de raison politique. Il en va de cette folle idée que les ressources seraient finies, et que l'enfer serait le nombre, et que l'immigration serait un fléau. Cette idée folle, devenue dogme qu'un tel Premier Ministre défendra la voix grave et le visage fermé, s'avère la preuve manifeste de l'état de dérèglement dans lequel se trouve le climat politique et social contemporain. Pas un seul parmi les tristes sires qui nous gouvernent n'ose penser que si la déroute est si vaste, c'est que nous ne sommes pas assez nombreux pour créer les chemins qui nous sortiront des impasses. Si les 66 millions de Français en sont là, à tourner en rond, à répéter les mêmes recettes dévastatrices, à plébisciter un homme politique prétendant faire oeuvre politique en expulsant et détruisant, c'est que des millions d'autres femmes, hommes et enfants manquent encore à ce pays. Faire de la politique, ça n'est rien d'autre que par les actes prendre soin de ceux qui ne sont pas encore là, y compris ceux qui pourraient venir de loin, sous le regard de ceux qui ont disparu, y compris ceux qui nous sont venus de très loin. Faire de la politique, c'est faire l'hospitalité, valeur que les Grecs hissaient parmi les plus sacrées. Le climat est aujourd'hui si délétère, noir aux entournures, qu'avec les membres du PEROU nous avons infiltré la semaine électorale pour, par les chiffres du désastre sur fond jaune soleil, rappeler que "l'hospitalité reste à faire". Ce à quoi nous nous efforçons d'oeuvrer, dans la joie et la bonne humeur les plus résolues.
Conception graphique : Yannick Fleury et Ruben Salvador Photos : Laurent Malone, 25 mars 2014 |
PS : Le détail des chiffres apparaissant sur le millier d'affiches répandues dans les rues de Paris :
- 8 700 000 : nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en France en 2011 (source : Insee)
- 1 252 000 : nombre de locataires ne pouvant pas payer leur loyer en 2006 (source : Insee)
- 125 000 : coût en euros de la destruction du bidonville de Ris-Orangis (source : PEROU)
- 141 500 : nombre de sans-abri en France en 2012 (source : Insee)
- 85 000 : nombre de personnes vivant en habitat de fortune en France en 2012 (source : Insee)
- 36 800 : nombre de personnes reconduites à la frontière en 2012 (source : Ministère de l'Intérieur)
- 21 537 : nombre de personnes expulsées de bidonvilles en France en 2013 (source : LDH / ERRC)
- 21 000 : coût en euros d'une reconduite à la frontière (source : Commission des Finances du Sénat, 2014)
- 16 949 : nombre de personnes vivant dans un bidonville en France en 2013 (source : Ministère du logement)
- 17 317 : nombre de personnes mortes aux frontières de l'Europe depuis 1988 (source : Cimade)
- 4 300 : nombre d'enfants vivant dans un bidonville en France en 2013 (source : Fondation Abbé Pierre)
- 453 : nombre de personnes mortes dans les rues de France en 2013 (source : Collectif les morts de la rue)
- 58 : pourcentage des demandes d'hébergements instatisfaites, dont 74% pour manque de places disponibles.
- 394 : nombre de bidonvilles en France en 2013 (source : DIHAL)
- 81 : dans les bidonvilles en France, pourcentage de mineurs ne bénéficiant pas de couverture maladie (source : CNDH, Romeurope)
- 80 : dans les bidonvilles en France, pourcentage d'enfants entre 6 et 16 ans non scolarisés (source : MDM)
- 46 : dans les bidonvilles en France, pourcentage de femmes enceintes ne recevant aucun soin prénatal (source : CNDH, Romeurope)
- 30 : dans les bidonvilles en France, pourcentage de personnes souffrant de problèmes respiratoires (source : MDM)
- 92 : dans les bidonvilles en France, pourcentage de personnes n'étant pas à jour de leurs vaccinations (source : CNDH, Romeurope)
- 2 000 000 000 : nombre de personnes sur la planète qui vivront dans un bidonville en 2030 (source : ONU)
PS 2 : C'est une tradition : tous les mardi à 19h, Apéropérou aux Caves Dupetit Thouars, 12 rue Dupetit Thouars, métro République à Paris, où il s'agit d'imaginer. Et tous les week-end, sur les terrains, où il s'agit de faire. Pour imaginer ou faire, il suffit de venir, mais au besoin, nous contacter ici : contact@perou-paris.org