PARTIR
DU BIDONVILLE
Une
micro-expérimentation constructive (2012-2014)
Actes
de la recherche-action conduite dans les bidonvilles de l'Essonne par
le PEROU - Pôle d'Exploration des Ressources Urbains.
A
l'adresse du PUCA - Plan Urbanisme Construction Architecture et de la
Fondation Abbé Pierre.
Résumé.
En
2012, plusieurs années d'une politique quasi-systématique
d'expulsions et de destructions des bidonvilles conduisent au constat
que le phénomène, loin de s'avérer ainsi éradiqué, se perpétue,
s'amplifie et s'aggrave. Sans solution, les familles réfugiées dans
de tels établissements illicites et dont certains enfants sont
scolarisés, se réinstallent à deux pas de là, sur le chemin des
écoles, en lisière d'une ville voisine. Sans solution, elles
repartent souvent de moins que zéro, et construisent de nouveau à
la hâte et sous une énième menace d'expulsion des abris toujours
un peu plus précaires. Sans solution, ces familles pourtant
européennes demeurent dans une impasse dans laquelle les enfonce un
peu plus une identité "Rom", identité qui leur est collée
à la peau comme preuve de l'impossibilité de leur intégration.
Suivant
l'hypothèse que construire vaut
mieux que détruire pour répondre aux questions sanitaires,
sociales, politiques, que posent de telles situations, le PEROU a
engagé un travail de recherche dès le mois de septembre 2012 dans
un bidonville de Ris-Orangis, en lisière de la Nationale 7. Le 22
décembre 2012, avec le soutien des familles et de riverains, le
collectif édifiait une "ambassade", bâtiment d'une
vingtaine de mètres carrés installé au beau milieu du bidonville.
Ainsi s'agissait-il d'inviter chacun au coeur du "problème"
dont on parle beaucoup, mais au sujet duquel circulent bien davantage
de fantasmes que de savoirs. En effet, "L'Ambassade du PEROU"
a, pendant 100 jours, joué le rôle d'interface entre l'intérieur
et l'extérieur, de sas par le biais duquel entrèrent au travail
architectes, artistes, chercheurs, travailleurs sociaux, associations
locales, et simples rissois dans une dynamique constructive. Ce
faisant, s'agissait-il de peupler la scène de la controverse
autrement, de tenter de nouvelles médiations entre les familles et
les acteurs publics, afin que de nouvelles réponses adviennent
enfin. Simultanément, dans le cours d'une action définie comme
"diplomatique" tout autant que pragmatique, il s'agissait
d'engager un chantier de construction de ce qui fait défaut dans une
telle situation de grande précarité : des circulations praticables,
des toilettes sèches, des bacs à compost, un système de
sécurisation du circuit électrique, un drain d'évacuation des eaux
de pluie, etc.
La
micro-expérimentation engagée par le PEROU à Ris-Orangis suivait
effectivement le projet de "partir du bidonville", dans les
deux sens de l’idée : partir de la situation, pour en prendre soin
en répondant aux besoin des familles, mais aussi pour accompagner et
faire se multiplier les relations de celles-ci au territoire ; donner
à ces mêmes personnes la possibilité d’enfin quitter les lieux
grâce à la stabilité gagnée dans l’action constructive, grâce
aux nouveaux liens noués avec riverains, écoles, services sociaux,
acteurs publics. La transformation des lieux était fondamentale :
donnant une autre qualité au bidonville et à la vie s'y déployant,
elle permettait en outre un travail sur les représentations visant à
modifier regards et réponses à son sujet. L'accompagnement social
des familles était induit : par les rencontres suscitées, portées
parfois par des outils créés in situ (Curriculum Vitae, mais aussi
textes, films, livres, etc), des parcours pouvaient être initiés
laissant envisager que le droit commun soit enfin atteint. Le 4 avril
2013, le bidonville de Ris-Orangis était expulsé à la force d'un
arrêté municipal. 12 familles rejoignaient cependant un projet
d'insertion, premier du nom en Essonne, gagné par des relations
nouvelles créées avec les acteurs publics tant et si solidement que
le PEROU devint assistant à maîtrise d'ouvrage de ce projet. Les
familles non sélectionnées se réinstallaient à 500 mètres de là,
dans un bidonville situé sur la commune voisine de Grigny. Ici, le
PEROU reprenait son ouvrage, construisant notamment une "résidence"
permettant en particulier d'accueillir des équipes d'architectes en
vue de concevoir avec les familles des projets d'établissements
temporaires hors le bidonville. Le bidonville de Grigny était à son
tour détruit le 5 aout 2014. 6 familles rejoignaient cependant le
projet d'insertion de Ris-Orangis. La vingtaine de familles non
sélectionnées se retrouvaient elles de nouveau à Ris-Orangis, dans
un énième bidonville.
Le
rapport de recherche remis en novembre 2014 au PUCA et à la
Fondation Abbé Pierre, les deux commanditaires de l'expérimentation
du PEROU, se structure autour d'un "journal" de l'action
écrit chemin faisant, et publié sur un blog deux années durant. Ce
journal consigne les actes, mais aussi les projets de recherche
développés in situ (plusieurs travaux photographiques et de dessin,
une analyse économique du coût de la destruction, deux films
réalisés par les familles, un film réalisé sur l'action, un livre
collectif réunissant une trentaine de plumes analysant l'arrêté
d'expulsion de Ris-Orangis, un livre-imagier réalisé avec les
enfants du bidonville, des projets d'architecture conçus avec les
familles, etc). Il témoigne de savoirs se constituant pas à pas, du
déplacement de représentations produit par l'action, notamment au
sujet de l'identité des personnes, de leur histoire, de leur
devenir. Il témoigne en outre des relations multiples avec acteurs
associatifs et publics, des tensions, des noeuds, des dénouements,
des raidissements.
Pour
les besoins de ce rapport, le journal est augmenté de multiples
travaux photographiques, en particulier de celui de Adel Tincelin
réalisé sur les contextes urbains alentours, et de celui de Laurent
Malone réalisé sur le quotidien des familles. En outre, neuf textes
écrits en novembre 2014 viennent rompre le fil de ce journal comme
autant d'annotations de celui-ci. Ces textes intercalés s'efforcent
de témoigner du jeu des acteurs, notamment associatifs, et de les
analyser comme l'une des composantes cruciales du prétendu "problème
Rom". Ils témoignent ainsi d'une violence demeurée
largement absente du récit public de l'action proposé par le
journal : celle que subit le PEROU du fait des paroles et des actes
développés durant l'action par quelques membres d'une association
locale, violence jugée non pas anecdotique, mais éclairant d'un jour nouveau le problème posé.
Ces
deux années de recherche-action témoignent d'une urgence à
travailler autrement avec les familles : in situ, en mettant en
oeuvre les chantiers vitaux et souvent imposés par la loi, en
accompagnant alors à partir de là les familles hors le bidonville.
En novembre 2014, 10 familles habitent des logements sociaux, 8 sont
inscrites en parcours d'insertion, et 14 adultes toujours installés
dans le bidonville de Ris-Orangis ont un contrat de travail en poche.
Ces deux années témoignent ainsi d'une urgence à clore la
"question Rom", pour ouvrir le sujet du bidonville
contemporain, promis à se développer sur le territoire européen,
et face auquel des savoir et savoir-faire, notamment architecturaux
et urbains, demeurent à inventer. Dans cette micro-situation,
l'action conduite par le PEROU aura vu se déplacer des acteurs
publics qui, d'abord radicalement hostiles à tout projet d'accueil,
organisèrent cet accueil de manière durable pour une partie des
familles. Les résultats demeurent cependant relatifs, tant les
"sélections" opérées en amont des projets d'insertion
laissent en situation d'errance des familles vivant ici, fortes de
compétences, comptant tous leurs enfants scolarisés. Mais nombre
d'obstacles, levés par l'analyse, demeurent à une action raisonnée,
faisant s'articuler tous les intérêts en présence, notamment du
fait du redoublement de la controverse par le jeu d'acteurs se
saisissant de la "question Rom" pour nourrir sur la scène
politique des luttes d'influence et de pouvoir étrangères aux intérêts des familles. Ce rapport veut transmettre
des savoirs susceptibles de nourrir le projet de nouvelles
expériences nécessaires au regard d'une situation de détresse
extraordinaire, et néanmoins risquant de composer une part bientôt
ordinaire de nos paysages urbains.