mardi 16 juillet 2013

Les dérélictions municipales


A Ris-Orangis, nous avons rencontré les militants socialistes. Notamment par tracts, articles, et ouï-dire interposés. En tout premier lieu, le PEROU n'existait pas à leurs yeux : nous n'étions qu'un groupuscule téléguidé par des militants communistes prompts à "instrumentaliser" le "problème Rom" pour, à l'horizon des municipales de 2014, menacer les ambitions socialistes. Sur ce thème ressassé de "l'instrumentalisation", un tract merveilleux était distribué sur les marchés de la ville fin janvier. Titré "Sont-ils devenus fous ?", il fut reproduit le 2 février sur ce blog pour en colporter la poésie savoureuse (à lire ici).
Puis, ayant saisi que le PEROU était un pays libre et lointain, ces individus dévoués à la cause partisane ont poursuivi leur travail de mépris des réponses constructives que nous pronions, en insultant tant et si bien "les bobos parisiens" que nous ne pouvions manquer d'être que, dans la presse locale, on en venait à lire : "Le représentant de l'association Pérou est complètement fou, il habite dans le XIIe arrondissement, pour lui tout va bien, les problèmes c'est pour nous !". Cette fine réflexion toujours hantée par la folie, nous l'analysions aussi dans un billet paru le 14 février sur ce blog (à lire ici).
Enfin, nous parvenions à entrer en discussion constructive avec le Maire socialiste, grâce notamment au soutien du Conseil Général - présidé par un socialiste - propriétaire du terrain que nous occupions, et à faire qu'émerge un projet d'insertion ouvert à une quarantaine de personnes. Alors, les militants socialistes se sont tus.

Ce projet a bien des défauts : conçu pour un seul tiers des personnes avec lesquelles nous travaillions, il consiste notamment en l'installation des familles dans une "base de vie" temporaire qui, à base de piètres algéco par définition, s'avère située aux confins de la ville, et dont les invraisemblables retards de travaux ont empêché que nous y développions jusqu'à présent le travail d'aménagement que nous souhaitions y faire. Néanmoins, ce projet présente trois qualités majeures :
1. Dans le pays de Manuel Valls, mais sur le territoire européen, il démontre que les roumains n'ont pas vocation à rentrer en Roumanie ;
2. Soutenu par des élus socialistes, il démontre qu'il n'y a pas de "problème Rom" comme l'annonce encore le premier ministre cette semaine, mais que des solutions républicaines ;
3. Dans un département où les expulsions sont légions, et donc la gabegie financière délirante, il démontre qu'il y mieux à faire pour les hommes comme pour le contribuable que de mépriser la loi, et laisser croire que détruire les baraques et chasser les familles est le plus sûr moyen de faire se résorber les bidonvilles.

Chantier de la "base de vie", Ris-Orangis,
terrain dit de l'hippodrome, 10 juillet 2013


A Grigny, nous avons rencontré les militants communistes. Ceux-ci furent partisans de l'action du PEROU à Ris-Orangis tant qu'ils l'interprétaient comme un moyen de clouer au pilori les élus socialistes ; dès lors que nous sommes entrés en relation apaisée avec ces élus, le PEROU est devenu aux yeux des militants communistes un organe parfaitement méprisable, fort étranger et complètement nocif.
Voilà qu'après l'expulsion du 3 avril, les familles se sont retrouvées sur le territoire de Grigny, commune dirigée par une équipe communiste. Le tout premier coup de fil échangé avec un responsable municipal débuta ainsi : "Pourriez-vous nous donner votre adresse exacte à Paris de telle sorte à ce qu'on vous dépose quelques familles en bas de chez vous ?". Boutade assez peu conviviale qui laissait entendre que, animé par des bobos parisiens écervelés, le PEROU était donc la cause du nouveau "problème" que ces élus rencontraient. Pas rancuniers, nous avions répondu que nous étions conscients des difficultés qu'une telle situation pouvait représenter, et prêts à apporter nos outils de telle sorte à mettre en place un nouveau projet d'insertion, comme la loi l'exige au demeurant (voir ci-dessous le document que nous leur avions fait parvenir le 19 avril). Le 9 mai, nous publiions sur ce blog quelques lignes témoignant du mépris caractérisé de la Mairie à l'endroit de cette proposition (lire ici). Mieux : les militants de terrain colportaient auprès des familles qu'accepter la venue du PEROU dans le bidonville revenait à s'assurer d'une expulsion imminente, misant allègrement et sans la moindre vergogne sur la crédulité des personnes qu'ils prétendaient soutenir.

Nous avions pris acte, et convenu avec les familles de n'agir que discrètement sans irriter la situation - en développant donc conception de CV et colonie de vacance - et en leur suggérant d'abonder dans le sens de leurs interlocuteurs communistes et d'ainsi profiter des liens existant entre ceux-ci et la Mairie pour tenter d'obtenir le minimum vital : une domiciliation, sans laquelle nulle aide médicale n'est possible, et nulle possibilité de trouver un travail envisageable ; la scolarisation des enfants, sans laquelle l'avenir est hypothéqué ; un point d'eau, sans lequel les conditions sanitaires restent déplorables.
Au diapason de l'idéologie de leurs camarades socialistes de Ris, militants et Mairie de Grigny réunis se seront évertués pendant des semaines à raconter que le "problème" s'avère de la responsabilité d'un autre : oubliant de mettre en place un point d'eau sur un terrain asséché, ils se sont notamment pressés d'affréter deux bus pour transporter des familles jusque sur le pavé parisien brûlant afin que celles-ci marchent contre la "politique anti-roms" socialiste ; oubliant de dire aux familles qu'ils n'avaient pour objectif que d'évacuer le terrain de la Folie, ils leurs apprenaient les rudiments de leur science politique, à savoir que la violence est d'Etat socialiste, sinon rien.
Pendant ce temps là, les promesses communistes se sont comme évaporées sous le soleil de plomb, et absolument rien n'est advenu si ce n'est une assignation en référé adressée avant-hier aux familles ahuries, suite à la demande d'expulsion exigée par le propriétaire du terrain, à savoir, CQFD, la Mairie. Une audience est prévue le 27 août, et ô miracle, voilà que le Maire communiste se tourne désormais vers l'Etat socialiste pour le prier de bien vouloir mobiliser ses pelleteuses rutilantes pour les besoins de sa cause. Le tout, évidemment, pour le bonheur des familles qui seront, l'espèrent les édiles, expulsées du bidonville où les conditions sanitaires sont indignes, pouvons nous lire dans l'assignation de 100 pages distribuée à 100 personnes, y compris à des enfants. 10 000 pages de violence politique brute, sans la moindre considération sur ce qu'il peut advenir des personnes. Peut-être rêvent-ils que celles-ci s'établissent quelques mètres plus loin, chez des voisins socialistes pour rire.

Sans la volonté des Maires, nulle réponse constructive n'est envisageable : le financement de projets d'insertion peut se concevoir au niveau européen ; les compétences sociales sont du ressort du Département ; mais le Maire demeure souverain sur son territoire, et parfaitement en mesure de faire opposition à quelque projet que ce soit, tant que la loi demeure si mal défendue. Aujourd'hui, la détermination des Maires quant à l'arrêt des expulsions absurdes et l'application de la circulaire du 26 août est voisine du néant. A l'approche des municipales de l'année prochaine, tout va s'aggravant en la matière. Non que ces Maires, communistes, socialistes ou de quelque autre étiquette que ce soit, s'avèrent d'immondes xénophobes comme d'aucuns s'évertuent à le défendre, dans un camp comme dans l'autre. Mais parce que la peur domine à tel point que, dans un état de déréliction politique avancée où seule gouverne la courbe fantasmagorique des opinions favorables, le bidonville apparaît tel un piège où périront toutes les ambitions politiques des élus en place. Nous plaidons évidemment l'inverse : qu'en rénovant l'art de faire la ville à partir du bidonville, nous pouvons réinventer une politique d'hospitalité dont pourra se targuer tout homme politique carriériste que ce soit.


Mobilier pour colonie de vacances mis en oeuvre par
le collectif d'architectes Polyèdre. 15 juillet 2013

Puisque l'eau n'est pas venue, puisque le soleil
n'a cessé de frapper, et puisque les risques d'incendies
sont ce qu'ils sont, nous avons discrètement fixé cinq
extincteurs aux baraques le 11 juillet. 


Dans la 10e circonscription de l'Essonne, à laquelle appartient la ville de Grigny, nous avons rencontré son député, à savoir Malek Boutih. Historique de SOS Racisme, représentant de la loi, celui-ci a qui plus est une vision toute singulière des bidonvilles : à Nanterre, il a passé son enfance dans l'un d'eux. Dans le contexte de mépris de la loi et de violence aveugle qui aujourd'hui a lieu, nous l'avons invité à rencontrer les familles, ce qu'il fera ce soir à 18h30.
Afin que le Parlementaire qu'il est rappelle à ses camarades socialistes chargés d'appliquer la loi que celle-ci existe - une circulaire du 26 août exactement -, et que dans le même mouvement il indique aux élus de sa circonscription, communistes y compris, qu'ils ne sont pas dispensés du respect de la légalité en la matière.
Afin que l'élu de la République qu'il est rappelle que détruire aveuglément ne fait aucun sens, et que ces familles venues du bidonville de Ris-Orangis situé à 800 mètres ont le droit et le désir de vivre et travailler ici - ce que les CV à la conception desquels nous nous affairons ces jours-ci démontreront, s'il en était encore besoin.
Afin que l'ancien gamin d'un bidonville de Nanterre souligne que vivre dans ces conditions n'est ni un choix, ni une fatalité, et que Dolari deviendra à son tour représentant de la Nation Française. A moins que ce surdoué en tout ce qu'il touche ne préfère viser un titre de champion de France de boxe.


Dolari, au cours de Boxe de rue proposé par Rambo,
figure du monde associatif de Grigny, absolument
estomaqué par le talent du champion.
Grigny, 11 juillet, photo : Barbara Landreau 


Dernière minute : Nos camarades du collectif Echelle Inconnue - architectes, artistes, et chercheurs de tous poils avec lesquels nous travaillons notamment sur un projet avec des sans-abri à Paris - qui avaient entrepris un travail remarquable dans un bidonville du Havre ont, aujourd'hui même, rencontré violence aveugle et lâcheté, toutes ces grandes vertus politiques contemporaines dont il est question dans ce billet. Ce matin, aux aurores, tout a été dévasté. Le récit, accablant, se lit ici.


PS : Ci-dessous, la note d'intention envoyée à la Mairie de Grigny le 19 avril 2013.




1 commentaire:

  1. Faut-il mourir pour apprécier la vie?
    Faut-il être aveugle pour apprécier de voir?
    Faut-il avoir vécu dans un bidonville pour vouloir en sortir dignement ceux qui n'ont que ça pour horizon?
    Que la politique peut être parfois à vomir!

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