dimanche 6 juillet 2014

L'annonce du pire


Samedi matin, les représentants de l'Association de la Folie en Essonne, fondée la semaine dernière par les familles du bidonville de la Folie, étaient reçus en Mairie accompagnés de riverains du Collectif des Ambassadeurs des Roms. Sérieusement, la Mairie faisait valoir un argument majeur : détruire est une fatalité pour une collectivité sans le sou. Il a fallu répéter que l'expulsion coûte plus cher à la Mairie (la moitié des 320 000 euros à peu près, pour la remise en état du terrain), que ne coûte la stabilisation du bidonville et sa résorption progressive au fur et à mesure de réponses durables proposées aux familles. Il a fallu expliquer que le coût de projets d'insertion n'est par définition pas à la charge de la Mairie, mais de l'Etat et de l'Europe (les fonds sociaux européens prévus à cet effet sont utilisés en moyenne par les Etats membres à hauteur de 30%, la France étant l'un des Etats de l'Union les plus frileux à mobiliser ceux-ci). Il a fallu expliquer que les familles demandent depuis des mois de s'acquitter des charges inhérentes à la situation, notamment du règlement de la facture d'eau. C'est le sens d'une lettre envoyée dans la foulée à la Mairie, signée par les représentants de l'Association de la Folie, lettre publiée ci-dessous.






Au diable les explications rationnelles : nous apprenons ce soir que la Mairie n'entend que sa propre folie et engage le processus le plus désastreux qui soit, à savoir détruire le bidonville et tout ce qui a été mis en oeuvre depuis des mois avec les familles. Demain ou mardi matin, un huissier devrait transmettre aux familles la misérable nouvelle. CRS et pelleteuses dégageront tout ce qu'ils peuvent 48h plus tard, et nettoieront la Folie de la vie qui s'en était emparée. Depuis quelques semaines, la Mairie arguait d'un projet pour dix hypothétiques familles qu'elle promettait de sélectionner en vertu d'on ne sait quel obscur principe. Il ne s'agissait là que d'une rumeur faite pour endormir et diviser les familles ne sachant à quel saint se vouer : à l'heure où démarrent les pelleteuses, aucune espèce de dispositif n'est en place pour accueillir qui que ce soit, sinon quelques chambres d'hôtel sociaux souvent miteuses et nécessairement dispersées dans toute l'Île-de-France. Si tant est que les acteurs publics poursuivent cette vague idée une fois débarrassés du "problème", des mois et des mois seront encore nécessaires à la mise en oeuvre de telle réponse durable d'insertion telle que prévue par la circulaire du 26 août 2012. Par conséquent, 150 citoyens européens seront dans quelques heures purement et simplement chassées de Grigny par les forces de l'ordre françaises, y compris les personnes (une quinzaine) aujourd'hui employées qui ne pourront donc rejoindre leurs lieux de travail en raison de la détresse dans laquelle elles seront plongées.

Face à l'aveuglement et la surdité, les familles ont en urgence formé appel de l'ordonnance de référés rendue par le Tribunal de Grande Instance d'Evry du 13 décembre dernier prononçant leur expulsion. Devant la Cour d'Appel de Paris, cette procédure a été engagée vendredi, il y a 48 heures. Puisque les acteurs publics n'entendent pas respecter les textes, ni les lois, ni les principes fondamentaux, ni les circulaires, ils se passeront sans doute d'attendre que le juge se prononce sur cet appel. Nul doute pourtant que le juge entendra le plus élémentaire qui soit : que depuis le 13 décembre dernier, la situation est bouleversée, les familles inscrites dans de multiples processus d'insertion, leur avenir sur le chemin d'une manifeste éclaircie, et qu'il convient donc de sursoir à l'expulsion. Au diable la justice et l'avenir ! Les pelleteuses se chargeront cette semaine de remettre les compteurs à zéro, et d'enfoncer les familles dans la situation dans laquelle aucun acteur public, ou presque, ne semble enclin à les autoriser de sortir : l'errance, le dépit, la terreur.

Nous vivons en 2014, en France, dans un pays monstrueux où la raison est en sommeil comme l'évoquait mercredi dernier Geneviève Fraisse à l'occasion de cette fête extraordinaire que nous avons partagée sur le terrain de la Folie. Nous avons d'innombrables conclusion à tirer de cette expérience là, de lignes à écrire, dont les plus révoltées à envoyer à la figure des acteurs publics responsables du désastre à venir, élus hors la loi auquel nous avons été confrontés ces derniers mois. L'urgence n'est pas à cela, puisque c'est du quotidien dont il nous faut aujourd'hui nous soucier : soutenir chacun, mettre quelques affaires à l'abri, accompagner les familles on ne sait où. Et préparer, malgré tout, l'avenir avec ces familles qui se réinstalleront non loin de là, comme tout le monde s'en doute. Mais puisque les acteurs publics en question parcourent nerveusement ces lignes à chacune de leur parution, qu'ils sachent bien que nous ne cesserons de faire publicité de leurs actes d'une lâcheté certes banale par les temps qui courent mais ô combien détestable, de leur refus catégorique de coopérer depuis des mois avec nous tous qui n'avons cessé de nous rendre disponibles pour les accompagner, de leurs mensonges osés jusque devant les familles pour sauver les apparences d'une morale de laquelle ils ne cessent de se réclamer, de leur mépris de la loi de ce pays comme des personnes vivant sur leur territoire. Au PEROU, nous avons coutume de construire, de suivre les pentes vertueuses, et de ne pas perdre une seconde à manifester colère ou indignation sous quelque balcon que ce soit. Nous dérogerons à la règle quand le calme sera revenu sur le terrain de la Folie, afin que le calme ne se réinstalle pas trop vite chez les édiles ayant fait le choix de la déraison.

Ci-dessous, quelques images prises mercredi soir sous le ciel de la Folie : les regards étoilés d'enfants européens auxquels on raconte que leur vocation est de vivre éloignés.









La Folie, Grigny, 2 juillet 2014
Photos : Stefan Zaubitzer







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