dimanche 3 novembre 2013

Commune défaite (Sur le film du PEROU)


" Si le nom et l'identité de quelque chose comme la ville ont encore un sens et restent l'objet d'une référence pertinente, une ville doit s'élever au-dessus des Etats-nations ou du moins s'en affranchir, pour devenir, selon une nouvelle acception du mot, une ville franche quand il s'agit d'hospitalité et de refuge. " (Jacques Derrida)


Jacques Derrida a vécu 36 ans à Ris-Orangis. Il y est aujourd'hui enterré. Celui qui écrivit des lignes puissantes sur "l'hospitalité inconditionnelle", celle consistant à accueillir un homme sans lui demander de comptes, aurait sans doute honte de ce qui aujourd'hui tient lieu de politique dans sa ville. A l'inconditionnalité, à l'hospitalité même, les élus opposent une pauvre théorie de la responsabilité répétant qu'il serait fou d'accueillir à bras ouverts. Ils méprisent ainsi la seule raison d'être de la ville, celle qui la fait se distinguer d'un désert de sens, d'un enclos sans avenir. Faire commune ne peut consister à autre chose qu'à faire l'hospitalité, et à cette fin inlassablement réinventer l'espace, ses formes mais aussi son droit comme son économie. A Ris-Orangis, 10 ans après la mort de Derrida, on détruit ce qui s'invente : il y a 7 mois désormais, on a détruit la Place de l'Ambassade ; dans les jours à venir, en vertu d'une décision du juge en date du 25 octobre, on détruira les deux bidonvilles jouxtant l'hippodrome et la "base de vie", toujours déserte. Des familles entières ont été et seront de nouveaux poussées plus loin, destinées à rencontrer la similaire hostilité d'un "responsable" d'une commune voisine.

Extrait du film du PEROU

Dans le prolongement de Ris-Orangis, s'étend la commune d'Evry, berceau politique d'un Ministre de l'Intérieur officiellement raciste. Celles et ceux qui vécurent Place de l'Ambassade avaient pour la plupart fuit les lisières de ce chef-lieu du département de l'Essonne, lisières nettoyées par Manuel Valls avant qu'il obtienne consécration gouvernementale. Son successeur n'est au demeurant pas en reste, ordonnant qu'on expulse et détruise sans s'embarrasser de quelque procédure judiciaire que ce soit. Sans doute gonflé par l'aura de son prédécesseur, ce Francis Chouat va jusqu'à fièrement déployer son programme dans les pages du Monde en date du 18 octobre, y répétant le mot "vérité" à tour de bras, et s'efforçant par là même de démontrer que quiconque s'oppose à l'hostilité dont il se fait le chantre verse dans l'antirépublicanisme et le scandaleux mensonge. Jacques Derrida eut diagnostiqué la grande faillite politique d'un régime servi par de tels idéologues s'acharnant à faire la guerre plutôt qu'à faire la ville.

Extrait du film du PEROU

Grigny complète ce paysage politique de misère. Au diapason de leurs voisins qu'accessoirement ils exècrent, les élus de cette ville où se trouvent aujourd'hui les familles de la Place de l'Ambassade envisagent un même carnage : expulsion et destruction. Sans doute espèrent-ils secrètement que les familles s'en retournent à Ris ou Evry, comme un manège sordide, sorte de ballon prisonnier où ce sont des vies avec lesquelles on joue. Ici comme ailleurs, on s'acharne précisément à ce que ces vies ne deviennent pas trop manifestes : des membres du parti communiste s'affirmant militants "pro-Roms" (entendre "anti-socialistes", et comprendre "pro-Mairie") ont déployé la semaine dernière tout ce qu'ils pouvaient de misérable stratégie pour empêcher la tenue dans le bidonville d'un spectacle de danse flamenco organisé par des riverains. Ici comme ailleurs, il ne faut pas que la vie s'accroche de trop sur le sol argileux, de peur que l'on ne puisse s'en débarrasser facilement. Ici comme ailleurs, il faut que nettoyage se passe sans laisser de traces dans les consciences républicaines. Le vendredi 15 novembre à 9h30, au Tribunal de Grande Instance d'Evry justement, lors de l'audience consacrée à cette énième expulsion, il nous faudra être très nombreux pour entendre l'invraisemblable argumentaire de la Mairie, et en témoigner alentours. 

Extrait du film du PEROU

Jacques Derrida publia en 1997 un petit livre titré "Cosmopolites de tous les pays, encore un effort !". En 2013, un seul effort n'y ferait rien, tant le désastre est vaste alentours. Et pourtant, faire l'hospitalité à celles et ceux qui migrent jusque sur les terres où vécut le philosophe est la seule perspective qui puisse se concevoir. C'est ce que nous avons entrepris : esquisser, par les actes, le dessin d'une ville franche, parce qu'hospitalière. C'est ce que nous avons consigné dans le court métrage "Considérant qu'il est plausible que de tels événements puissent à nouveau survenir", où les images de ces actes font face à la logorrhée de la commune défaite. Ce film est accessible ici, avec le mot de passe "risorangis".

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