mardi 3 juin 2014

Lettre au Préfet de l'Essonne


Ci-dessous, la lettre envoyée au Préfet de l'Essonne le 29 mai 2014, ainsi que le Communiqué annonçant l'ouverture de la résidence du PEROU dans le bidonville de Grigny. Chaque jour qui passe, les pelleteuses se rapprochent. Chaque jour qui passe nous avons à occuper le terrain et faire ce qu'il y a à faire, afin qu'obstacles multiples soient posés sur le chemin des machines, et que les hommes leur résistent enfin.


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A l’attention de Monsieur  Bernard Schmeltz
Préfet de l’Essonne
Boulevard de France
91000 Evry


Grigny, le  29 mai 2014



Monsieur le Préfet de l’Essonne, 



Association présidée par le paysagiste et auteur Gilles Clément, soutenue en Essonne par le Conseil Général de l’Essonne, le CAUE 91, le Député de la 10e circonscription de l’Essonne, le PUCA, la DIHAL, et la Fondation Abbé Pierre, le PEROU - Pôle d’Exploration des Ressources Urbaines - poursuit depuis deux ans un travail de recherche dans les bidonvilles de Ris-Orangis, de Viry-Châtillon et de Grigny. Avec les outils de ses membres (architectes, urbanistes, artistes, chercheurs en sciences sociales), l’association vise à rénover le répertoire des savoirs sur ces situations urbaines problématiques, et à outiller la collectivité afin d’imaginer d’autres réponses que celles, désastreuses, qui ont aujourd’hui cours. Force est en effet de constater que les politiques d’expulsion telles que systématisées depuis quelques années contribuent à la pérennisation du bidonville dans sa forme la plus problématique : conduisant à sa reconstitution quelques centaines de mètres plus loin, elles s’avèrent aussi violentes pour les familles migrantes qu’inconséquentes pour la collectivité. Opposés à ce que telle déroute se prolonge, nous nous sommes donc mis au travail en Essonne afin d’accompagner familles et collectivité vers d’autres perspectives de sortie du bidonville. 

Comme vous le savez, le travail que nous avons entrepris dans le bidonville de la Nationale 7 à Ris-Orangis a contribué à faire émerger un projet d’insertion, le premier du genre en Essonne. Sous l’égide du Conseil Général, nous avons pris part à ce projet en accompagnant les familles jusqu’à l’intégration d’une «base de vie», et en développant sur ce terrain différents menus chantiers dont nous fêtons l’achèvement les samedi 31 mai et 14 juin. Au-delà de ce projet, concernant 38 personnes parmi les 150 avec lesquelles nous oeuvrions à Ris-Orangis, nous avons poursuivi un travail avec celles qui, jugées non insérables à l’issue d’une «enquête sociale» conduite en une demie-journée, se sont établies sur le terrain dit «de la Folie» à Grigny en mai 2013. Ici, en collaboration avec un collectif de riverains, le Collectif des Ambassadeurs des Roms, nous avons accompagné les adultes vers l’emploi, les enfants vers l’école. Ici, en collaboration avec l’association Intermèdes Robinson et Amnesty International, nous avons conçu avec les enfants un imagier trilingue que nous offrirons à la rentrée prochaine aux écoles du département. Ici, en collaboration avec la communauté d’Emmaüs Longjumeau, nous avons répondu à l’urgence en creusant un drain parcourant toute la longueur du bidonville, en posant plusieurs tonnes de BRF afin de garder le site hors boue, en installant une vingtaine d’extincteurs, en réparant une dizaine de baraques qui menaçaient de s’écrouler, en fixant des plaques d’aération dans chacune d’entre elles, etc. Ceci afin de créer les conditions les «moins pires» afin qu’un réel travail d’anticipation de la sortie du bidonville puisse s’entreprendre. Ceci afin que la circulaire du 26 août 2012 puisse pleinement être appliquée, et que la mise en œuvre effective de l’expulsion de ce terrain soit précédée d’un travail, par définition extrêmement délicat, d’invention de réponses durables pour chacune des familles réfugiées là. 
Aujourd’hui, n’étant pas parvenus à entrer en dialogue avec la Mairie de Grigny afin de l’accompagner dans ce travail que chacun sait difficile, nous nous établissons en permanence sur le terrain de la Folie afin d’y produire une «contre-enquête sociale» et d’assumer, autant que nous le pouvons, la charge d’anticiper la sortie du bidonville en dessinant des perspectives d’avenir avec les familles. Pour les besoins de cette permanence, nous avons construit en plein cœur du bidonville un lieu de travail que nous démonterons le 4 juillet prochain. Ici, en collaboration avec de nombreux auteurs, photographes, artistes, nous documenterons précisément le bidonville pour que celui-ci soit décrit à distance des clichés qui l’écrasent. Ici, en collaboration avec des médiatrices formées par le Conseil de l’Europe, des auteurs, des photographes, nous établirons pour chacune des familles volontaires un dossier permettant d’enfin précisément comprendre leur situation. Ici, en collaboration avec des équipes d’architectes, nous dessinerons des projets temporaires et de qualité co-conçus avec les familles, des lieux de vie susceptibles d’être mis en œuvre par les acteurs publics au premier rang desquels vous figurez. 

Vous savez que notre démarche est constructive, et que notre position vis à vis des acteurs publics, quels qu’ils soient, n’a jamais été autre que celle d’une assistance à la mise en œuvre d’autres réponses, respectueuses des personnes concernées comme des textes les plus fondamentaux de notre République. Ce fut le cas à Ris-Orangis, comme le démontre le projet d’insertion qui en est issu et à la réussite duquel nous avons contribué en collaboration avec l’association Le Rocheton. Ceci ne peut manquer d’être le cas à Grigny. Nous ne désespérons jamais du fait que les positions en viennent à changer, et que chacun s’engage finalement sur un chemin commun et vertueux. Par conséquent, nous ne doutons pas du fait qu’un jour prochain nous puissions vous rencontrer en présence de tous les acteurs concernés afin que des projets ambitieux, à mettre en œuvre au delà du seul territoire de Grigny, émergent de cette situation. Afin de faire la preuve, en Essonne, qu’il est possible d’inventer des réponses d’avenir à la multiplication de bidonvilles sur le territoire européen, réponses cruciales pour les familles migrantes, mais aussi pour la collectivité tout entière : telles expérimentations portant sur des formes nouvelles d’hospitalité relèvent à l’évidence de l’intérêt général tant s’accroît d’année en année le nombre de nos contemporains frappés par la grande précarité urbaine. 

Dans l’attente de vous rencontrer prochainement pour discuter constructivement de solutions durables pour les familles vivant dans le bidonville établi sur le terrain de la Folie, je vous prie de bien vouloir recevoir, Monsieur le Préfet, l’expression de mes sentiments les plus républicains.



Sébastien Thiéry, 
Coordinateur des actions du PEROU










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