dimanche 22 juin 2014

Mairie de Grigny, 19 juin, 10h15


Si le lynchage de Darius, jeune homme vivant dans un bidonville de Pierrefite-sur-Seine, relève d'un acte de barbarie, il s'inscrit dans le cours d'une politique contemporaine qui fait le lit à de tels actes. Depuis des années, la violence est d'abord politique qui vise les personnes repliées dans les délaissés de nos métropoles, leur refusant droit de cité, condamnant à l'anéantissement les habitations qui leur servent de refuge. Des assassins sont, devant les juridictions, responsables de ces actes. Des élus de la République sont, devant l'histoire, responsables du climat qui prépare le terrain à de tels actes.

Manuel Valls s'est solennellement indigné, au diapason du Président de la République, qualifiant ce lynchage d'"acte inacceptable". Jusqu'à présent, nul ne l'a entendu qualifier "d'acte inacceptable" l'assaut des pelleteuses chassant des familles entières sur le chemin de l'errance. Jusqu'à présent, nul n'a relevé son indignation devant le déploiement d'une férocité légale à l'encontre des bidonvilles, racontant que les personnes vivant là ne sont que rebuts, corps en trop promis à disparition. Alors, des Maires peuvent-ils impunément refuser de domicilier ces gens là, les frappant d'inexistence légale, poursuivant cette politique qui les éloigne autant que faire se peut du monde des vivants. Alors, des pétitions peuvent-elles être signées contre la présence de ces nuisibles, et des insultes quotidiennes proférées au visage de ceux que le bras de la pelleteuse désigne, en ouverture du JT de TF1, comme des moins que rien.

Les gestes de l'institution organisent une partition du monde, que des actes isolés viennent confirmer. Les images légales ordonnent qui participe au monde commun, qui doit demeurer maudit. Les paroles tenues en plus haut lieu enchaînent ou font se déchaîner la violence. Avec le PEROU, et nombre de riverains effectivement exaspérés par les politiques publiques qui aujourd'hui prévalent, nous portons nos corps jusqu'au beau milieu du bidonville afin de réformer la langue, inventer d'autres images, porter des gestes dissidents en réponse au lynchage qui s'organise.





Identités, Rafaël Trapet, bidonville de la Folie, mai 2014


Ce jeudi 19 juin, à 10h15, les personnes que nous avions accompagnées quinze jours plus tôt afin d'obtenir une simple adresse administrative sont effectivement reparties de la Mairie de Grigny avec ce sésame : ainsi peuvent-elles enfin prétendre signer un contrat de travail, à l'instar des 15 personnes qui aujourd'hui dans le bidonville de la Folie en sont détentrices ; ainsi reçoivent-elles de l'administration municipale un statut les arrachant à leur condition de paria. Le Maire de Grigny s'inscrit par là même dans une position ô combien remarquable dans le paysage français, à rebours des gestes, images et paroles qui instituent au rang de damné quiconque habite un bidonville sur nos territoires. Ce Maire exigeait il y a quinze jours de la directrice du CCAS qu'elle ne "domicilie plus de Roms". Aujourd'hui, cet élu de la République accepte que ces personnes sans-abri accèdent aux droits qui sont les leurs, contribuant mécaniquement à ce que la menace du lynchage s'éloigne enfin. Malheureusement, nous en sommes collectivement là : à qualifier d'exceptionnelle la décision d'un Maire ne faisant qu'appliquer la loi. Heureusement, nous constatons que l'action publique peut prendre un chemin vertueux, en dépit de ce que l'expérience jusqu'alors nous enseignait. Tout au moins, la direction prise ce jeudi 19 juin par le Maire de Grigny nous convainc que l'horizon des familles occupant le bidonville de la Folie peut s'éclaircir enfin.

Le même jour à 8h du matin, une brigade de policiers entamait le travail d'intimidation qui a coutume d'être entrepris dès lors que le passage des pelleteuses est programmé : déambuler dans le bidonville, et lâcher quelques informations à la cantonade au sujet d'une expulsion prochaine. Ainsi les pouvoirs publics attendent-ils des familles qu'elles s'expulsent elles-mêmes, permettant que les pelleteuses ne s'élancent pas contre un bidonville trop habité. Ces manoeuvres sont effectivement consécutives à la procédure engagée par le Maire de Grigny contre les familles du bidonville le 12 juillet dernier, les assignant en référé devant le Tribunal de Grande Instance d'Evry en vue de leur expulsion. Ces manoeuvres ne peuvent se poursuivre, et parvenir à leur but, que si le Maire de Grigny exige effectivement du Préfet le concours de la force publique pour ce faire. Par conséquent, au regard de la position adoptée par le Maire de Grigny ce 19 juin à 10h15, ces manoeuvres ne sauraient se poursuivre puisque cet élu de la République ne saurait manquer de faire sursoir à l'expulsion des familles.

Puisque les policiers laissaient entendre que la fin de l'année scolaire allait concorder avec la fin de vie du bidonville, la décision du Maire de Grigny de s'opposer à cette logique infernale devrait parvenir aux familles dans la semaine à venir. Ainsi, propriétaire du terrain de la Folie, la Mairie s'inscrira-t-elle dans la magnifique jurisprudence créée par le TGI de Bobigny le 24 janvier dernier qui, examinant la proportionnalité du droit de propriété par rapports aux droits fondamentaux, déboutait un propriétaire de sa demande d'expulser un bidonville établi sur son terrain au motif que "la perte d'un logement, aussi précaire soit-il, est une des atteintes les plus graves au droit au respect du domicile et de la vie privée et familiale" (voir l'analyse faite de cette jurisprudence ici).




Capture d'écran de "La vie là", série documentaire de Laurent Malone
tournée dans le bidonville de la Folie, Grigny, juin 2014


Plus que jamais, le PEROU poursuit donc son travail d'outillage des familles afin qu'elles puissent défendre devant les autorités compétentes, européennes y compris, les projets d'établissement temporaires auxquels elles aspirent, hors le bidonville, mais dans la ville, à Grigny certes, mais alentour nécessairement aussi. Pour ce faire, nous accompagnons ces jours-ci le projet des familles du bidonville de la Folie de se constituer en association loi 1901, permettant qu'elles prennent enfin souverainement la parole et président à leur destin à distance des joutes locales qui en font les instruments de luttes qui ne leur appartiennent pas. Pour ce faire, nous demeurons aujourd'hui comme hier à disposition du Maire de Grigny afin de l'accompagner dans cette voie difficile, parce qu'extraordinaire par les temps qui courent, de la création de réponses vertueuses à la question que nous posent ces familles : comment, en ces temps d'hostilité généralisée, trouver dans nos villes l'hospitalité ?


Réunion devant la Résidence du PEROU dans le bidonville de la Folie,
14 juin 2014, Louise Dumas.


PS : Une bonne nouvelle n'arrivant jamais seule, il est important de noter que l'imagier trilingue réalisé par les enfants du bidonville durant la colonie de vacance que nous avions organisée l'été dernier sera effectivement publié : l'appel à dons a merveilleusement fonctionné, et les 90 donateurs ont permis de récolter l'argent qui permettra de le publier en 1 500 exemplaires et de l'offrir aux écoles du département où sont scolarisés des enfants du bidonville. Un outil à l'usage des enfants des bidonvilles afin de tisser des liens avec leurs camarades de classe, et de frayer le chemin à un avenir pacifié parmi nous.

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