Les manuels d'histoire de nos petits-enfants sont d'ores et déjà en cours de rédaction. Concernant le chapitre de nos années présentes, le titre est tout trouvé : "Une République de démissionnaires : le renoncement comme culture politique commune".
A Calais aujourd'hui, un Ministre de l'Intérieur socialiste a exigé que l'on chasse au loin des femmes et des hommes qui, trop près du centre ville, portaient la gale. Ces vulgaires migrants, trop sales pour qu'on s'en alarme, rats parmi les hommes que les Français demeurent, ont rejoint les dunes du Calaisis. L'acte de ce Ministre de l'Intérieur est frappé de démission : aux yeux du monde, Bernard Cazeneuve concède renoncer à tout, à sa fonction parmi les plus hautes que l'on puisse compter comme aux textes qui la fondent.
A Grigny demain, un Maire communiste se félicitera de la netteté retrouvée du terrain de la Folie où demeurent aujourd'hui encore une quarantaine de familles migrantes. Un an que se prolonge l'attente : l'édile a, dès juin dernier, engagé une procédure d'expulsion tout en priant que l'on entende que cette hostilité n'était certainement pas de sa responsabilité. Des camarades du parti, nécessairement "amis des Roms", ont avec passion colporté cette farce. Hier mardi, une vingtaine d'enquêteurs sociaux débarquait, remplissait des grilles sans littérature, noircissait des cases où le commanditaire préfectoral lira la semaine prochaine qu'il s'agit bien d'un cloaque, et d'une hasardeuse humanité. Grigny est pourtant une ville extraordinaire, comme flanquée d'une banderole sur laquelle, couleurs vives, s'afficherait : "Ici, on accueille toute la misère du monde !". D'invraisemblables expérimentations urbaines, des impasses sans doute, mais de la folie assurément : telle était jusqu'à il y a peu la promesse que portait ce territoire. La procédure engagée par ce Maire est frappée de démission : aux yeux du monde, Philippe Rio concède renoncer à tout, à l'histoire précise de cette commune qui raconte que seule compte l'ivresse d'accueillir.
Au Blanc-Mesnil hier, un Maire UMP confectionnait avec tous les soins du monde la couverture du "Journal du Blanc-Mesnil" n° 220, tout premier numéro de l'ère de ce tout nouveau premier magistrat. Bords perdus, format paysage, un théâtre dévasté : le plus grand "campement" d'Île de France manifestement détruit. En lettres bleu république : "La ville reprend ses droits !". L'homme, bien à droite, se dresse face à la désolation, le regard gorgé de satisfaction. Il se frotte les mains, parce qu'elles sont sales sait-on, parce que le travail a bien été fait prétend-il. Tout est livré là, dans cette image montrant un élu qui traîne une écharpe de la République dans la boue. Il fut un temps où l'homme politique se voulait bâtisseur : devant la démesure urbaine, il prenait la pose, s'érigeant audacieux parmi les dieux. Dans nos années présentes apprendront nos petits-enfants, on pose devant un champ de ruine et clame : "Ceci est mon oeuvre". Le geste commis pas ce Maire est frappé de démission : aux yeux du monde, Thierry Meignen concède renoncer à tout, aux couleurs comme aux droits les plus fondamentaux de cette République dont il se revendique.
Le Journal du Blanc-Mesnil, Mai 2014 |
Nous sommes les riverains exaspérés par la misère politique qui se répand alentour. D'aucuns se drapent d'indignation, hurlant quelque chose comme une immense déception, comme si cet édile du Blanc-Mesnil avait pu bâtir quoi que ce soit, comme si collectivement nous en étions là : à construire encore plus que de raison, d'une ivresse résolue, commandés par l'humanité qui palpite en nous. Tout ceci est parfaitement hors de saison en cette Europe fatiguée. D'ailleurs, voici que cette classe politique nous l'annonce plus clairement encore : Jean-Luc Mélanchon, Marie-Noëlle Lienemann, ou encore le bras droit de Jean-François Copé, ont, ces quelques derniers jours, versé des torrents de larmes face caméra. La dévastation s'explicite ainsi, dans le lacrymal qui balaie enfin hors la scène ces quelques mots qui ne voulaient plus rien dire : "politique", "ville", "société", "peuple". Puisque les actes, geste, paroles et larmes se succèdent et se répètent comme s'il s'agissait de nous faire assurément entendre que la défaite est consommée, alors sans perdre de temps ni d'énergie, nous prenons au PEROU le chemin de la construction. Il n'est certainement plus question de "travail social", vieille lubie consumée avec le reste : il s'agit de reprendre le sujet à la base, celui de faire la ville ensemble, celui de faire de la politique, en prenant le verbe au mot.
Charpente de la Chapelle de la "Base de vie" de Ris-Orangis. Avril 2014 |
"La base de vie" de Ris-Orangis, lieu de résidence des 38 personnes régularisées dans le sillon de l'action conduite en bordure de la Nationale 7 l'année dernière, était conçue en dépit du bon sens urbain, aux confins du territoire et à la mode architecturale la plus austère qui nous soit donnée de connaître. Alors, nous y avons oeuvré ces dernières semaines, et notamment érigé une "Chapelle" aussi incroyable que l'Ambassade du PEROU, sauf à qui souhaite y croire. Ainsi s'est-il agi de poursuivre notre ouvrage : par l'acte architectural, frapper de sens des situations urbaines insensées ; aménager "l'ici" tant et si bien qu'un "ailleurs" puisse s'inventer ; construire dans l'allégresse, puisque tel est le fondement en même temps que l'horizon du "faire politique". Ce samedi 31 mai à 15h, une fête viendra célébrer la fin de ce chantier, fête à l'occasion de laquelle une fanfare sera offerte.
Pose de la Capella, littéralement : "la couverture". "Base de vie" de Ris-Orangis, avril 2014 |
Dans le bidonville de la Folie à Grigny, nous avons dans le même temps construit, forts de la seule certitude que nous puissions avoir : nous sommes la puissance publique. Les pouvoirs publics aujourd'hui aux affaires ont donc commandé une enquête sociale, tout en s'en référant à la circulaire interministérielle du 26 août 2012, afin de faciliter les opérations : une fois les familles "diagnostiquées" au moyen d'instruments parfaitement défaillants (puisque ne permettant pas de comprendre pourquoi la destruction du bidonville de Ris-Orangis allait faire se reproduire la situation identique 500 mètres plus loin), les machines pourront déferler. Telle est la coutume, le rituel de l'enquête sociale ayant eu lieu hier mardi 27 mai. La culture du PEROU étant tout autre, et les moeurs somme toute bien plus civilisés, nous avons établi au beau milieu du bidonville de la Folie une résidence : lieu de travail afin d'y conduire la "contre-expertise" qui s'impose. Coproduite par les familles, cette contre-expertise sera portée par quiconque souhaite prendre part au chantier commun, riverain, membre du PEROU, ou toute autre espèce d'étranger. Ici-même, nous travaillerons à une publication qui reprendra la trame d'une "enquête sociale" jusqu'à la faire resplendir enfin, en poursuivant donc trois enjeux :
1. Une enquête sociale commence par décrire les lieux, tant et si mal que le pire ne puisse manquer de s'envisager. Par l'écriture, l'image, le dessin, nous composerons un "Glossaire in situ" du lieu de vie que s'avère le bidonville de la Folie à la force des innombrables auteurs que nous sommes : personnes habitants le bidonville, membres du PEROU, et auteurs de France et de Navarre absolument les bienvenus et c'est peu de le dire.
2. Une enquête sociale se poursuit par la description de la situation des individus, forcément malheureuse et lacunaire, triste et ô combien mal engagée. Par l'image, le texte et le son, nous composerons des "Portraits de famille" rendant compte de l'épaisseur d'humanité de "ces gens là", pas plus démunis que les individus prétendument insérés que nous sommes.
3. Une enquête sociale se finalise par des préconisations, forcément proches du néant puisque "que voulez-vous que l'on fasse de ces gens là par de tels temps de crise ?". Par le dessin et le texte, nous composerons des "Cahiers d'utopies architecturales" conçues avec les familles par des équipes d'architectes qui viendront ici conduire des workshop.
La nouvelle est franchement heureuse, et ne mérite ni indignation, ni larmes excessives : il nous faut réinventer le monde. Alors nous nous y employons, avec vigueur et modestie, joie et gravité. Et c'est là un chantier ouvert au public, à chacune et chacun : jusqu'au 4 juillet date de la fin de l'année scolaire, la résidence est à prendre, et le monde entier est invité à prendre part au travail, pour quelques heures ou le mois entier. "Tout reste à faire, mais tout sera fait", comme l'énonce Erell Latimier dans son oeuvre sonore composée à partir de certains des textes publiés sur ce blog et à écouter ici, tout en découvrant les images ci-dessous de la résidence du PEROU où chaque mardi à 19h une réunion publique est organisée. Si les images durent plus longtemps que le son, alors l'exploration peut se compléter par l'écoute ici de l'oeuvre radiophonique réalisée par le philosophe Jean-Paul Curnier, oeuvre titrée "Tout bien considéré" en référence à "Considérant qu'il est plausible que de tels événements puissent à nouveau survenir", titre du livre du PEROU. Non sans méditer cette (double) information définitive : ce livre est, deux mois après sa sortie, épuisé ; nous ne le sommes pas du tout.
Résidence du PEROU Grigny, Bidonville de la Folie, samedi 24 mai 2014 |
PS : Toujours d'une actualité brûlante, le financement de l'imagier trilingue "La Passerelle", qui nécessite la contribution du monde entier par ici.
PS 2 : D'une actualité tout aussi brûlante, le concours "Paris de l'hospitalité" auquel le monde entier est invité à participé en s'inscrivant ici.
En matière d'habitat d'urgence je n'ai jamais compris pourquoi les élus ne font pas appel à tous ces innovateurs /bricoleurs inventifs qui savent monter des maisons en bottes de paille ou en palettes à un coût minime. Habitats provisoires mais confortables que l'on peut très bien accoler à des blocs sanitaires comme ceux que l'on voit sur les aires de camping des gens du voyage.
RépondreSupprimerJean Prouvé architecte génial réalise après la guerre, la maison des jours meilleurs, dite aussi de l'abbé Pierre, montée pour le Salon des arts ménagers en février 1956 à Paris. « C'est la plus belle maison que je connaisse » dira Le Corbusier. Préfabriquée en usine, alliant le bois et l'acier, son prix de revient minime en faisait un habitat d'urgence idéal et confortable, malheureusement elle restera à l'état de prototype.
L'imagination et l'inovation semblent fuirent la jugeotte de nos élus locaux qui avec tous les pouvoirs pour aménager les P.O.S. de leur commune, peuvent délivrer des autorisations de travaux et prendrent toutes les mesures nécessaires pour accueillir des populations en détresse sans dépenser des millions. Mais non! Se parer de l'écharpe tricolore pour vanter la destruction d'un bidonville, c'est vraiment tomber bien bas! Honte à lui et à tous ses accolytes qui ne pensent qu'à leur gloriole!