jeudi 28 février 2013

Point presse

La revue Mouvement soutient l'action du PEROU ô combien : dans sa dernière livraison, en kiosques aujourd'hui, son supplément Le Journal Clandestin est tout entier consacré à l'aventure. Ce cahier spécial se livre sous la forme d'une oeuvre journalistique collaborative largement nourrie des contributions des constructeurs du PEROU : Merril Sinéus y raconte la poussée du bidonville vers la ville ("Un droit à la ville"), Aude Tincelin son travail de photographe ("L'horizon"), Sophie Triniac son Ecole des femmes ("Sur le tableau noir"), Ismaël Hallissat sa rencontre avec une famille et son histoire ("Vies de transitions"), et Marianne Dautrey, qui à Mouvement a coordonné le travail, y développe son analyse politique sur ce qui a lieu ("Fabrique de non droit"). Des dessins de Charlotte Cauwer (portraits, relevés des lieux de vie), et des photos de Malte Martin, Aude Tincelin et Merril Sinéus finissent de donner à l'ensemble la qualité d'une enquête singulièrement riche, forte de l'humanité qui à Ris-Orangis a lieu. Mais ça n'est pas tout : sur le site de la revue, une lettre ouverte à Manuel Valls est à lire, et faire suivre... (Lire la lettre ici)

Dans le même temps, Essonne Info, site bénéficiant d'une très belle audience dans le département, publie une enquête plutôt copieuse, une traversée sensible et sensée de l'action, un travail journalistique comme on en a vu assez peu en France sur le sujet ces derniers temps. L'enquête est à lire ici.

mardi 26 février 2013

Jusque là


Jusque là, nous avons été sages, et d'une courtoisie à toute épreuve à l'égard de chacun de nos interlocuteurs publics. D'abord des lettres, ensuite des coups de fil, parfois des premières rencontres avec des directeurs de cabinet ou des conseillers techniques, puis enfin des rendez-vous avec les instances politiques. Le chemin, somme toute laborieux, nous a finalement conduits jusque devant les principaux responsables concernés ce dernier mois : Maire, Député, Président du Conseil Général. Le Préfet, enfin, nous a accueillis mardi dernier à 15h30.

A chacun de nos échanges, à de rares exceptions près, nous avons pu noter une volonté manifeste de ces acteurs publics de construire des réponses inscrites dans le droit fil de la loi, c'est à dire durables et respectueuses de chacune des personnes habitant le bidonville de la Place de l'Ambassade. A chacun de nos échanges, à aucune exception près, nous avons pu prendre acte de leur volonté de coopérer avec le PEROU, de suivre la perspective expérimentale qui est la sienne. Ainsi pouvait-on valider quelques-unes de nos hypothèses méthodologiques : construire hors norme, pour faire respecter la loi ; prendre soin des espaces, pour renouveler l'art de prendre soin des hommes ; prendre littéralement position, ici et maintenant, pour créer un rapport de force favorable à l'avenir des personnes ; ringardiser les calculs partisans pour contribuer à ce que s'élabore politiquement la question. Ainsi pouvait-on croire faire sortir de l'absurde la politique conduite à l'endroit des bidonvilles, et tracer quelques pistes de nouvelles réponses, enfin respectueuses des hommes.

En un sens, depuis le premier coup de pioche et le premier rat assassiné, nous avons progressé : la tradition de l'expulsion manu militari sans aucune autre forme de procès n'aura pas été respectée à Ris-Orangis. En un autre sens, le progrès demeure d'une ampleur tout à fait relative : cinq mois plus tard, nous demeurons flanqués sur un terrain sur lequel aucun des responsables sus évoqués ne daigne apporter l'eau, l'électricité, le service de ramassage des ordures ; cinq mois plus tard, nous demeurons flanqués dans une situation pourrie par la menace toujours reconduite d'une expulsion imminente ; cinq mois plus tard, nous demeurons flanqués dans un contexte d'urgence, de violence et de mépris à partir duquel aucune perspective durable ne peut sérieusement être envisagée. Alors, le verbatim de chacun des échanges conduits avec les acteurs publics sera prochainement produit ici, pour cartographier les positions de chacun, pour comprendre peut-être pourquoi nous en sommes toujours là, et pour revoir sans doute enfin notre définition de la sagesse : à un certain moment, il est sage de ne plus le rester.

En attendant, sur le terrain, rien ne dévie de sa course pragmatique : répondre point par point aux dangers censés pouvoir justifier l'expulsion souhaitée imminente par le Maire, et mettre en oeuvre la dératisation du terrain, l'installation d'un point d'eau, la mise en étanchéité du circuit électrique, la sécurisation des poêles à bois et des conduits d'évacuation des gaz. En attendant, sur le terrain, tout concourt à ce que s'étoffe l'humanité qui fait lieu : l'école des femmes s'est merveilleusement passée hier ; le Rabbin Michel Serfaty est venu dans le même temps nous prêter main forte et faire don d'un groupe électrogène au bidonville ; Intermèdes Robinson a, dans un joyeux tumulte, inauguré sa résidence à l'Ambassade ce matin ; un riverain d'un âge certain s'est présenté dans le même temps en pleurs, évoquant la déportation, l'exode, sa mère méprisée, et affichant sa détermination à nous accompagner pour ne pas voir, sous ses yeux, de telles histoires se reproduire.

Jusque là, nous, cet homme là, les innombrables personnes qui nous témoignent par leurs actes ou leurs mots un soutien crucial, sommes restés sages. Obsédés par l'idée qu'il nous faut construire, nous nous sommes épargnés de dépenser notre énergie ailleurs. Car ce qui, du côté des forces politiques en présence, nuit à cette humanité qui a lieu ne mérite pas qu'on lui consacre le moindre temps, la moindre de nos forces. Jusque là, tout au moins.


L'Ambassade investie par Intermèdes Robinson
ou l'art de "l'Asile poétique"

lundi 18 février 2013

Le pays (une pleine page publiée par le Maire aujourd'hui)

Une irrésistible aversion pour le changement demeure en ce pays prétendument changé. La question de la scolarisation des enfants du bidonville à Ris-Orangis ne cesse d'en être la démonstration tristement éclatante.

Le changement, c'est aujourd'hui : cette douce matinée du 18 février exactement où nous avons appris qu'enfin les enfants du bidonville allaient franchir, demain mardi 19 février, le seuil de l'Ecole Républicaine Rissoise. Circulaire du Premier Ministre, ultimatum du Défenseur des Droits, et lettre publique d'Amnesty International avaient ces dernières semaines rappelé la Commune à la légalité la plus incontestable, tant et si bruyamment que le refus de scolariser n'apparaissait pas seulement comme scandaleux, mais aussi comme invraisemblable. Le Préfet a heureusement tranché, et restauré en vertu de sa fonction la force de la loi sur le territoire. Enfin, comme nous l'annoncions dans ce blog le 29 décembre dernier (lire ici) : Dany ira à l'école !

Le changement, c'est pas pour aujourd'hui : dans le même temps, alors que chacun souhaiterait pouvoir classer l'affaire, n'en tenir aucun grief à ses protagonistes, laisser enfin ces gosses tranquilles forcément heureux de rencontrer d'autres gosses, et aborder avec calme et détermination le vaste chantier de l'accompagnement des familles vers un avenir meilleur, le Maire s'est fendu d'une page de nouveau invraisemblable distribuée à chacun des enseignants de l'école qui accueillera demain les enfants, et devrait faire de cet événement une fête. Lapidaire, cette page s'avère pour autant pleine d'un sentiment indéfinissable, belliqueux sans aucun doute, rancunier peut-être, déplorable en tout cas, car encore une fois parfaitement contraire à ce que commande la situation : créer les conditions d'une paix sociale avec ces familles européennes. Comment expliquer qu'en ce pays, nous en soyons parvenus là ? Comment expliquer aux lecteurs d'El Pais (voir billet précédent), que nous soyons tombés si bas ?



El Pais (une pleine page publiée dans l'édition papier d'hier)





Un « apartheid » gitan près de Paris (traduction publiée sur la page d'accueil du site du Théâtre de la Ville ici)

Israel Galvàn, qui présente dans la capitale française son spectacle sur l’holocauste gitan, danse pour les « roms » du campement de Ris-Orangis.

François Hollande avait promis, pendant la campagne électorale, que sa politique d’immigration serait différente de celle pratiquée par Nicolas Sarkozy. « Il n’y aura pas d’expulsions en masse, mais au cas par cas », avait affirmé le candidat socialiste, et aucune minorité ne sera stigmatisée ni utilisée comme bouc émissaire ». Neuf mois après son arrivée au pouvoir, la promesse a fondu comme un morceau de sucre. Le ministre de l’Intérieur originaire de Barcelone, Manuel Valls, a dépassé le record d’expulsions établi par son prédécesseur, l’ultra-conservateur Claude Guéant. 36.822 étrangers ont été renvoyés dans leurs pays en 2012, contre 33.000 en 2011 ( environ 11% de plus) et 28.000 en 2010 , d’après les données officielles. Un tiers d’entre eux étaient des citoyens européens : gitans roumains et bulgares.
Au cours des dernières semaines ont eu lieu divers épisodes de discrimination de la communauté « rom », qui donnent à penser, comme le signalent les associations de défense des droits humains, que la politique de Hollande et de Valls est identique à celle de Sarkozy et de Guéant. A Marseille on a expulsé de manière illégale des femmes enceintes et des enfants. Dans le quinzième arrondissement de Paris, on a refusé de scolariser des enfants gitans. Dans la région du Val-d’Oise on leur a refusé l’accès à la cantine scolaire.
Stéphane Maugendre, leader du Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés ( GISTI), a dénoncé la brutalité et les mauvais traitements des autorités envers les gitans, et a mis en évidence le fait que ces persécutions «  servent de monnaie d’échange dans un contexte économique et social de plus en plus critique ».
Le cas de discrimination le plus inquiétant se produit, aujourd’hui encore, à Ris-Orangis, une cité-dortoir située à 23 kilomètres du centre de Paris, au sud de l’aéroport d’Orly, tout près d’Evry, la municipalité où Manuel Valls a forgé sa légende de politique-gendarme.
Le maire de Ris-Orangis, un endroit désolé urbanisé dans les années soixante où l’on voit très peu de blancs, est Stéphane Raffalli, homme politique socialiste du département de l’Essonne, fief électoral de Valls et du PS. Raffalli a déclaré la guerre aux campements illégaux de Gitans, et attiré l’attention sur un bidonville construit en août dernier par quelques familles roumaines sur un terrain vague situé en contrebas de la Nationale 7. 
Son intention de démolir les baraques s’est heurtée à l’avis du propriétaire du terrain, le Conseil Général, qui s’est opposé à l’évacuation. Mais cela n’a pas fait reculer le maire, qui, en septembre dernier, a refusé de scolariser treize enfants du campement dans l’établissement scolaire local. « C’est un cas évident d’apartheid » affirme Sébastien Thiéry, fondateur de l’association PEROU, qui a construit dans le campement une « ambassade », grande cabane en bois de pin qui sert à la fois d’église et de salle de dessin.
Raffalli allègue que les classes sont pleines, que les dossiers des enfants sont incomplets , qu’il n’a pas les moyens de gérer «  tant de pauvreté », et pour l’instant il a seulement accepté de placer les élèves gitans, dont l’âge se situe entre 4 et 12 ans, dans une classe spéciale, annexe du gymnase. Cela semble toujours mieux que la solution imaginée à Saint-Fons, périphérie de Lyon, où les enfants « roms » sont scolarisés depuis novembre dans un commissariat. Les ONG ont appliqué à ce nouveau concept l’expression de « classes ethniques », et tant le Ministère de l’Education que le Défenseur des Droits, Dominique Baudis, continuent à exiger l’inscription des enfants. Il y a une semaine Baudis a donné dix jours de délai à Raffalli pour qu’il respecte la loi. Mais, d’après ce que fait remarquer Anne, une jeune bénévole du campement «  les maires savent que si les enfants sont scolarisés il sera beaucoup plus difficile d’expulser leurs familles ».
Dans le campement, vendredi fut un jour de grande fête. L’étoile du flamenco, Israel Galvàn, le révolutionnaire danseur sévillan, s’est rendu dans le campement pour danser et connaître par lui-même la situation de ces gitans. Galvàn présente ces jours-ci au Théâtre de la Ville son spectacle Lo Real, une vision de la persécution nazie et de l’Holocauste gitan—Porraimos, en langue calé—qui causèrent la mort de 600.000 romanies et sintis.
Auprès du « bailaor », dont la mère est gitane, se trouvaient Pedro G. Romero, directeur artistique de Lo Real, les « palmeros » Bobote et Caracafé—qui habitent le ghetto gitan de Séville «  Las 3000 Viviendas--, et Carmen Lérida, Uchi, danseuse issue d’une vieille lignée d’artistes de flamenco du quartier sévillan de Triana.
Dans le campement se trouvent 30 baraques, plus précaires les unes que les autres. La terre est noire et humide ; il n’y ni eau courante ni électricité. Là vivent 130 adultes et 40 mineurs. De nombreux enfants sont nés en France, car la plupart des familles sont arrivées depuis dix ans, explique Dragomir, un jeune père de trois enfants. Il raconte que lui est arrivé à Paris en 2004 , qu’il a été évacué « 16 fois », que tous les habitants du campement sont issus de la même localité—Bius--, et que 80% d’entre eux sont romanies.
Les amphytrions ont dressé une estrade de bois recouverte d’une bâche de plastique pour que Galvàn puisse montrer son art, et sur le portail de l’entrée ils ont peint une phrase du danseur : « Les forces qui vont me manquer un jour, je les dépense maintenant ». Galvàn et le Théâtre de la Ville ont invité 12 habitants du campement pour qu’ils voient Lo Real en direct, et d’après ce que relate Dragomir, la doyenne, Ivette, âgée de 80 ans, a pleuré en voyant le spectacle, et en lisant la phrase de Galvàn dans le programme, elle s’est exclamée : « ça, c’est moi ».
Chaussures de sport, pantalon orange et doudoune, Galvàn danse des « bulerias » et « tonàs » ( un des rythmes les plus ancestraux du flamenco) et quand il termine, ému et heureux, il dit : «  j’ai vu de nombreux visages semblables à celui de ma grand-mère … et c’est impressionnant que les photos des années quarante dont nous nous sommes servis pour préparer le spectacle ressemblent à cela. A présent cette œuvre a davantage de sens. Lo Real est un regard personnel, non politique, sur le génocide gitan, sur la mort. L’idée c’est que, en dépit des difficultés, ce qui nous sauve, nous gitans, c’est la joie, l’énergie, l’envie de vivre. Voir la joie de ces gens me fait penser que nous avons réussi. Cela remplit l’œuvre de sens, c’est comme si on fermait un cercle. Le cadeau le plus beau serait que le spectacle contribue à les aider. L’accueil du public de Paris et l’accueil des gens d’ici justifie le travail accompli ».
Emilio Caracafé et Bobote, qui vivent dans le ghetto édifié dans les années soixante par la dictature de Francisco Franco pour éloigner les « calos » (gitans) du centre- ville ne peuvent croire ce qu’ils entendent.  « C’est un crime d’éduquer ces enfants à l’écart des autres. C’est comme si on leur disait : « vous êtes différents et le serez toujours. C’est comme si on disait que tous les « payos » ( les non-gitans) sont voleurs parce qu’ Urdangarin est un voleur », s’indigne Caracafé.
« Ce qu’est en train de faire la mairie est illégal », leur explique l’activiste Sébastien Thiéry, et cela se passait déjà ainsi sous le gouvernement de Sarkozy. De nombreux maires de gauche et de droite agissent ainsi. Ce n’est pas une question de partis, c’est la société française qui est malade et obsédée par les gitans.
Le problème semble chaque fois plus réel. Vendredi un article de la presse locale débutait par la phrase suivante dite par un habitant de Ris-Orangis : « Le moment est arrivé de sortir les fusils de chasse ». Cependant tous les français n’ont pas cette obsession. Le même jour, une vingtaine de bénévoles de tous âges aidaient à organiser la fête de Galvàn. Et un habitant est arrivé à pied avec un chariot transportant un matelas ; il expliquait  «  J’ai appris ce qui se passe avec ces gens et j’ai décidé que je veux faire quelque chose pour eux avant de mourir, car j’ai déjà 80 ans ».
Les ONG espèrent que la visite des artistes donnera une visibilité à un problème que de plus en plus de gens en France semblent ignorer. La polémique concernant les expulsions a largement baissé de ton parce que le gouvernement socialiste évite d’attiser verbalement la xénophobie, mais les renseignements indiquent que les démantèlements forcés sont en augmentation.
D’après l’Association Européenne pour la Défense des Droits Humains ( AEDH), qui suit depuis plusieurs années les démolitions, 11.803 gitans furent évacués en 2012 . Et 65% (7.594) le furent entre juin, date de l’arrivée au pouvoir des socialistes, et décembre. En 2011 ; Guéant fit évacuer 9.396 romanies, et un an auparavant, lorsque Sarkozy stigmatisa les gitans au cours de son célèbre discours de Grenoble, à peine 3.300.
L’industrie de « l’expulsion volontaire » est bien huilée depuis qu’elle fut instaurée en 2006, et il y a même des autocars spécialisés dans le transport des romanies expulsés jusqu’aux aéroports, où on les embarque dans des vols charters collectifs. Mais, à Paris, il n’est pas rare de voir, aujourd’hui encore, des familles gitanes dormir dans la rue, surtout vers Opéra et Bastille. Près de la place dédiée à la Révolution se trouve le Bureau de l’Immigration et de l’Intégration qui octroie les « aides humanitaires pour le retour des citoyens européens ».
Et pourtant, ce dispositif de rapatriement semble être victime de ses propres paradoxes : son succès l’a rendu inopérant et trop onéreux, car de nombreux expulsés reviennent une seconde fois. Le coût total en 2011 a été de 20,8 millions-9,4 millions pour le transport et 11,4 correspondant à la prime au retour de 300 euros--. Avec la crise, le Ministère de l’Intérieur a réduit le montant des aides et, depuis le 1er février, l’aide aux adultes est passée de 300 euros à 50 euros. Pour les enfants, elle passe de 100 à 30 euros.
Ce changement laisse supposer que les arrivées et les expulsions vont diminuer. « Le problème est que ceux qui restent, comme ceux de Ris-Orangis, ne reçoivent pas d’aides pour respecter les droits élémentaires : logement décent, accès aux soins médicaux, à l’éducation, puisque la France persiste à ne pas recourir aux fonds européens d’aide aux romanies », explique Sébastien Thiéry.
Même si c’est incroyable, la deuxième économie de la zone euro, qui compte 65 millions d’habitants de toutes races, ne parvient pas à trouver le moyen d’accueillir quelques milliers de gitans par an. Le 21 janvier, le Comité Européen des Droits Sociaux du Conseil de l’Europe a condamné Paris  pour « violations manifestes » des droits de la communauté gitane. Ces accusations n’ont pas provoqué la moindre réaction du Gouvernement ni de ses alliés de la gauche radicale. Seuls les écologistes, associés au gouvernement, ont protesté, mais de façon si discrète que le consensus n’est pas entamé.
Valls, qui, l’été dernier, s ‘est efforcé de justifier sa politique, a expliqué qu’il se trouvait contraint aux évacuations car, d’après ses déclarations à ce même journal, les maires de gauche lui en faisaient la demande… Cela se passe de commentaires. Les grands moyens de communication traitent à peine ce sujet, la droite reste sans broncher, les sondages—il est toujours le ministre le plus populaire—approuvent sa « fermeté » et les maires répètent sa ritournelle.
Donc, les gitans continuent à être les indésirables officiels ; ils semblent être les seuls à ne pas trouver une place dans la docte et humaniste République française. Malgré tout, à Ris-Orangis, les enfants, les adultes et les vieux survivants du « Porraimos » n’ont perdu ni l’envie ni la joie de vivre. Même si, bien entendu, les forces qu’ils dépensent aujourd’hui, ils ne les auront plus demain.


Traduction : Chantal Albertini (merci !)



Sur le site Internet de El Pais, Rubens Correo, étudiant à l'Ecole des Arts Politiques, a relevé les commentaires, et composé le nuage de mots ci-dessous, quelque chose comme l'épaisseur sémantique du regard qu'en Espagne on porte sur cette histoire.





samedi 16 février 2013

Le Réel

Si nous étions sans mémoire, nous ne nous retrouverions pas aujourd'hui à Ris-Orangis à oeuvrer comme des demeurés. Si nous étions sans mémoire, nous ne flanquerions pas nos corps auprès de celles et de ceux qui aujourd'hui connaissent ce contre quoi nos aïeux, et les aïeux de nos aïeux, se sont battus, à en perdre la vie.
Nous sommes des vieux, des ancêtres, frappés de l'empreinte des luttes d'hier et d'avant-hier, accrochés à l'héritage des victoires d'antan. Nous sommes âgés, profondément âgés, et ne cesserons de vouloir donner aux conquêtes de nos pères une nouvelle jeunesse. Nous vivons d'une éternelle promesse, et ne sommes pas prêts de la laisser mourir.

Yvette, riveraine de 76 ans, a accompagné Daniela, Fiorina et Dragomir au Théâtre de la Ville jeudi soir pour traverser "Le Réel", pièce donnée par Israël Galvan. Hier matin, alors que nous préparons la venue du maestro Place de l'Ambassade, elle me confie son ravissement, son émotion, et, dans l'élan, une citation de Galvan : "Les forces qui vont me manquer un jour, je les dépense". Yvette, infatigable militante de RESF, de la Ligue des Droits de l'Homme et de l'ASEFRR, d'ajouter : "Cette citation, c'est moi !". Ses mots me transpercent, j'en alerte mes amis du PEROU qui tout autour de l'Ambassade préparent la fête. Nous ferons de cette citation un emblème ! Une heure plus tard, un portique est dressé sur le seuil du bidonville, face à la Nationale 7, et offre ces paroles à la ville entière.

Albert, riverain de 80 ans, m'attrape devant l'Ambassade à 18h00, alors qu'Israël Galvan a déjà foulé le sol du bidonville et qu'une assemblée merveilleuse a élu domicile sur ce qui, alors, a le visage de la plus belle place du monde. Grand et sec, le visage marqué par la fatigue, la parole d'Albert est grave et trempée de tristesse : "Je n'ai plus beaucoup de temps, je vais mourir bientôt, je veux faire quelque chose de bien avant. Je veux un jour par semaine le passer avec vous ici". Il ajoute qu'il ne sait pas faire grand chose, que ce qu'il nous apporte n'est sans doute que trois fois rien. Je lui réponds que nous en sommes tous là, mais que nos trois fois rien rassemblés font tout l'or du monde. Il sourit un peu, je l'embarque sur notre radeau, ce plancher magnifique construit par Charlotte, Sylvestre, Jean-François, Victoria, Merril, Margot, et tant d'autres, et nous tous. Là, Israël Galvan danse. Nos corps, nos histoires, et nos mémoires le rejoignent. Ce parquet magnifique voguera jusqu'à la nuit tombée, frappé de nos pas et de nos rires réunis. Nous sommes alors des vieillards ivres de bonheur, conquérants comme des enfants.
















Place de l'Ambassade, 15 février 2013
Photos : Jean Larive


Il est de bon ton, dans nos luttes contemporaines contre le dit "mal logement", de diligenter sur les lieux de l'hécatombe une star qui saura attirer les caméras et, en arrière plan, faire découvrir au téléspectateur l'ampleur du désastre. Ainsi s'agit-il de "sensibiliser" comme ils disent et, ce faisant, d'activer la grande machine à solutions qu'en France tout au moins nous considérons être l'Etat. La dramaturgie se doit d'être accablante : la star se doit d'être démaquillée, l'oeil noir, la tonalité sombre ; les précaires se doivent de s'afficher résolument précaires, sans relâche, sans ambiguïté ; la misère se doit d'écraser la scène, tant et si lourdement que le spectateur doit se la prendre dans le ventre et hurler qu'il suffit. Ainsi se conçoit une action bien menée : elle fera du bruit, du buzz, du nombre, du résultat. L'on forcera peut-être ainsi la machine à produire les solutions qui n'en sont pas, à mettre en branle la construction d'habitats qui n'en sont pas, à faire se répandre le tissu d'une ville qui n'en est plus une.

Par chez nous, au PEROU, les coutumes sont tout autres. Didier Galas, artiste sublime, vint ouvrir l'espace de l'Ambassade le 22 décembre : la promesse de sa venue fut motrice du chantier, son Arlequin vint inaugurer l'espace, le bidonville transfiguré par l'enthousiasme s'en empara la seconde d'après. Israël Galvan, autre artiste sublime, vint ouvrir l'espace de la Place centrale le 15 février : une promesse, un geste inaugural, l'invitation faite à chacun émerveillé de s'en emparer. Non que nous ne souhaitions pas faire du buzz. Mais parce qu'il y a plus urgent, plus crucial : tout est à inventer, et nos forces, celles qui nous manqueront un jour, doivent aujourd'hui même oeuvrer à l'éclosion de ce qui n'a pas encore lieu. Alors, ce chemin que nous traçons ensemble Place de l'Ambassade nous met sur la voie, au moins nous-même, de cette impérieuse nécessité de créer l'hospitalité qui nous fait défaut. Plutôt que de la réclamer à des appareils ignorant tout de ce qui doit advenir. C'est ce que par chez nous, au PEROU, nous appelons être dans "Le Réel".





jeudi 14 février 2013

Notre folie. Avec Israël Galvan demain après-midi.


La raison commande de s'inquiéter de tonnes d'immondices accumulées en lisière de Ris-Orangis, de centaines de rats qui s'y ébrouent, et de l'établissement, au beau milieu de ce cloaque, de familles entières. La raison commande d'évacuer les déchets, de dératiser, et de traiter telle situation sanitaire avec la plus grande des déterminations. La raison - légale ! - commande telles actions aux collectivités territoriales, en l'occurrence à la Commune, à la Communauté de communes, ainsi qu'au Département, en vertu du Code général qui leur est consacré (à lire ici).
Il est fou de ne rien entreprendre, de faire la sourde oreille aux interpellations, de laisser s'envenimer la situation. Il est fou de laisser se préparer l'accident et, en adoptant alors la posture du dit "responsable", de hurler au péril imminent. Il est fou de croire ainsi conquérir le droit d'expulser les personnes qui souhaitent vivre comme nous, à distance des rats. 

La raison commande de s'inquiéter de voir quotidiennement les familles traverser la Nationale 7 afin d'accéder à la borne à incendie qui leur sert de point d'eau. La raison commande de faire traverser le point d'eau, pour éviter que ça ne soit davantage les familles qui le fassent. La raison - légale ! - commande telle mesure élémentaire, en l'occurrence à la Commune, en vertu du Code général sus-évoqué, mais aussi en vertu de nombre de conventions internationales valables en France aussi bien qu'en Somalie.  
Il est fou de ne rien entreprendre, de ne pas offrir un accès à l'eau aux personnes vivant là, alors que le chantier voisin par exemple - l'édification d'une patinoire monumentale ! - est agrémenté en eau comme il se doit. Il est fou de laisser se préparer l'accident et, en adoptant alors la posture du dit "responsable", de hurler au péril imminent. Il est fou de croire ainsi conquérir le droit d'expulser les personnes qui souhaitent accéder à un point d'eau. 

La raison commande de s'inquiéter de voir s'installer un bidonville en France en 2013. La raison commande de s'enquérir aussitôt que possible de telle situation, de prendre soin des personnes, et de mettre en oeuvre tous les moyens à disposition - communaux, départementaux, régionaux, nationaux, européens - afin d'accompagner les personnes vers une situation meilleure. La raison - légale ! - commande telle politique publique, au moins en vertu de la circulaire du 26 août 2012 et des textes qui s'y rapportent, sous l'égide de l'Etat. 
Il est fou de ne rien entreprendre, de ne pas enquêter sur tel établissement humain, de ne pas mobiliser les compétences nécessaires et suffisantes à la mise en oeuvre de réponses adaptées à cette situation. Il est fou de demeurer bien à distance du bidonville et des citoyens européens qui l'habitent, de ne diligenter auprès de celles-ci que les forces de l'ordre pour les intimider à souhait, et de laisser s'accroître l'exaspération des riverains et leur colère. Il  est fou de laisser se préparer l'accident et, en adoptant alors la posture du dit "responsable", de hurler au péril imminent. Il est fou de croire ainsi conquérir le droit d'expulser les personnes qui souhaitent construire parmi nous une vie meilleure. 

La raison commande de se porter auprès de l'humanité qui a lieu malgré tout, de lui faire de la place, et d'y trouver la notre. Il est fou de la mépriser : c'est ainsi se mépriser soi-même. Et pourtant, comme le rapporte cet article paru ce jour dans le Républicain, ceux qui font aveu public de mépris s'imaginent encore ennemis des fous.





Puisque la raison qui prévaut aujourd'hui est délirante, s'avérer parmi les fous est signe de bonne santé. Je suis, nous sommes au PEROU, "complètement fous", et, ce faisant, en quête d'une raison politique enfin restaurée. Fous, nous le sommes assez pour avoir passé nos journées d'hiver à construire avec ceux qui vivent là afin, dans l'acte, d'altérer les frontières et, d'une oeuvre construite, faire la pierre angulaire de notre histoire commune. Fous, nous le sommes assez pour avoir serré dans nos bras chacune de ces personnes lors de l'inauguration de l'Ambassade, jusqu'à ce qu'elles entendent combien indispensables elles sont à notre monde. Fous, nous le sommes assez pour avoir évacué à la main 130 000 litres de déchets, construit une dizaine de toilettes sèches et les bacs à compost qui vont avec, installé trois containers à eau de 1000 litres qu'une organisation internationale viendra approvisionner régulièrement, déversé des dizaines de mètres cube de copeaux afin de mettre hors boue le site, mis en place un ramassage des ordures ménagères avec la précieuse mobilisation du Collectif de Rissois Solidaires, organisé des cours d'alphabétisation des femmes, mis en place des ateliers plastiques, d'écriture, de photo, de danse, et engagé simplement le processus d'une relation créatrice à laquelle prennent part quotidiennement des riverains. Notre démonstration est ainsi follement élémentaire : faire ensemble pour réactiver de la politique, art consistant par définition à créer du possible. Aux antipodes des positions ancrées dans la défaite, la poigne crispée sur le fusil de chasse. 

Et puisque notre folie ne nous empêche nullement d'être épris du droit, rappelons au passage combien il est fou de considérer qu'il puisse y avoir "péril imminent" en l'espèce. D'abord parce que le péril, en droit, doit émaner d'un édifice ("une construction de toute nature élevée au dessus de la terre" - CA Paris, 26 novembre 1946 - JCP. G. 1947 II, 3444), et parce que la cause du péril doit résider dans la construction elle-même, et non pas lui être extérieure. Ensuite, quand bien même s'acharnerait-on, un "arrêté de péril imminent" devra être précédé d'un rapport d'expertise judiciaire sollicité auprès du Tribunal Administratif et concluant à l'existence d'un péril "grave et imminent". Seule une expertise "complètement folle" pourrait conclure ceci après enquête sur la Place de l'Ambassade...
Et puisque notre folie ne nous empêche nullement d'être épris du droit, rappelons au passage combien il est fou de considérer qu'il puisse y avoir expulsion pour l'un ou l'autre des dangers évoqués ici ou là : multiplication d'ordures, présence de rats, nature boueuse du sol, traversée de la Nationale 7, etc. Car, la compétence du Maire en termes de police générale l'oblige à prendre toute mesure nécessaire à la préservation de la sécurité des personnes, sous réserve que la prescription soit proportionnée au risque. Pire : l'édile doit apporter la preuve de la pertinence de ses prescriptions. Ainsi, en raison de ce raisonnable principe de proportionnalité, l'évacuation ne peut être ordonnée que s'il n'existe pas de solution moins contraignante pour assurer la sécurité des personnes. Or, le PEROU avec ses modestes moyens, a ouvert le chemin de réponses pragmatiques sur les déchets, les rats, la boue, l'eau, défaisant l'ô combien fol argument selon lequel seule l'expulsion serait concevable.

L'Ambassade, qui restera droite et fera tenir avec elle toutes les baraques alentour, fut frappée du sort du comédien Didier Galas, et inaugurée par le merveilleux Arlequin qu'il fut, devant les enfants, devant notre enfance. Le radeau, place centrale du bidonville, sera inauguré demain par Israël Galvan. Danseur de haut vol, il frappe le sol tant et si bien qu'en jaillissent des histoires, qui font nos mémoires. Au Théâtre de la Ville en ce moment, il donne Le Réel, et arrache à l'oubli la tragédie des tziganes exterminés par le régime nazi (Lire l'article que lui consacre le Monde ici). Tel est le spectacle auquel assistent tous les soirs de cette semaine des familles du bidonville invitées par l'immense artiste, avec la complicité du Théâtre de la Ville et de Jean-Marc Adolphe, rédacteur en chef de la revue Mouvement. 
En ce moment même, Yvette, Daniela, Dragomir et Fiorina assistent au spectacle. Mais le maestro souhaitait nous apporter sur place un peu de son souffle, nous serrer dans ses bras à son tour, nous rendre indispensables à son monde. A 16h demain vendredi 15, nous lui ferons l'hospitalité, à lui et à tous ses musiciens, bercés par la douce folie d'être ici. Pour mieux partir un beau jour ailleurs. Mais ensemble. 




Le radeau, Ris-Orangis, 14 février 2013
Conception Charlotte Cauwer, photo Aude Tincelin



PS : Le plan d'accès au site pour celles et ceux qui souhaitent prendre part demain à notre fête se trouve ici


mardi 12 février 2013

Enfin ?

Nécessairement, la situation va se régulariser, et l'école est au bout du chemin. Après le Défenseur des droits, voici Amnesty International qui souligne combien ce qui se passe à Ris-Orangis n'a aucune raison d'être, si l'on considère les droits évidemment, mais les enfants tout autant. La lettre que l'organisation a adressée au Maire est à lire ici.

Tout ceci fut répété, réécrit, ressassé, jusqu'à ce que pointe une fatigue, à moins qu'il ne s'agisse d'une colère : celle de simples citoyens ne comprenant pas comment des gardiens des lois, élus de la République, peuvent à ce point demeurer sourds au texte. Dany ou encore Rebecca intégreront bientôt l'école républicaine qui les attend, comme nous ne cessons de le penser depuis ce 22 décembre où nous avions invités les enfants des écoles voisines dans le bidonville. Voici donc venu le temps des chemins renversés, et de la rencontre scellée.

Et, dernière minute, un sujet dans le journal de 18h de France Culture, à la 5e minute, à écouter ici.

samedi 9 février 2013

Drawing people together


Pendant que le Maire s'embourbe (lire ici), et que la France pourrait par là-même toucher le fond (lire la condamnation de la Hongrie ce 8 février ici), la Place de l'Ambassade entreprend le chemin inverse :


La détermination de notre équipée de ce
vendredi (merci Victoria, Margot, Timo,
Yvette) et la bienveillance de nombre de
 commerçants de l'Essonne rencontrés hier
(ristournes par ici, cadeaux par là) nous ont
notamment permis de tapisser le sol du bidonville
et de sortir le nez de la boue qui gagnait pas à pas.

Dans le même temps, les Voeux des mères, collaboration du photographe Jean Larive et du graphiste Yannick Fleury, ont été édités et parviendront cette semaine dans les boîtes aux lettres des élues de la République, de celles qui siègent au Conseil Municipal de Ris-Orangis comme de celles qui siègent à l'Assemblée Nationale ou au Sénat. 




A chacun ses voeux : non loin de là, au moment exact où nous tracions au sol l'emprise de notre future petite placette de 5m sur 6m, l'équipe d'architectes Populous, dont le mot d'ordre est "drawing people together", remportait le projet du Grand Stade de Rugby de Ris-Orangis, d'un coût total de 575 millions d'euros. Malgré une économie un brin plus modeste, nous ne désespérons pas de "drawing people together", notamment vendredi à l'occasion de l'inauguration de cette place sur laquelle nos invités surprises pourront clamer des vers, voire exécuter quelques pas de danse...


Mesure

Démesure



vendredi 8 février 2013

Un week-end au PEROU


Les statistiques le prouvent : 3 français sur 4 ne savent pas que faire le week-end. Aux 75% de lecteurs de ce blog, rappelons que demain comme après demain à Ris-Orangis, dès 10h du matin, mille animations vous sont proposées Place de l'Ambassade :

- Evacuer des sacs d'ordures, sous l'enthousiaste patronage de Jean-Pierre.
- Construire une petite place centrale avec de jolis bancs, sous la folle direction de Charlotte.
- Animer un atelier de dessin, sous l'inventive baguette de Loubna.
- Animer un atelier de danse, sous la pétillante poigne d'Emma.
- Partager un déjeuner dans l'Ambassade, sous le bienveillant regard d'Yvette.

Essayer le PEROU le week-end, c'est y revenir en semaine.

PS : Vendredi 15 février après-midi, réservez votre après-midi RTT.

jeudi 7 février 2013

Le visage du peuple que nous formons d'être ensemble


On ment plus qu'il ne faut par manque de fantaisie : 
la vérité aussi s'invente.
Antonio Machado, Nuevas canciones XLVI - 1924





Suite à l'atelier proposé mercredi après-midi
aux enfants par la plasticienne
Joana Zimmermann


Une centaine de personnes craignant que les rats n'envahissent les rues de Ris-Orangis à cause de la prolifération de Roms sur le bidonville ont obtenu mardi soir l'oreille du Maire, et quelques médias tournant autour de l'affaire ont fait de cela un événement : le Maire, dit-on, a remercié cette courageuse prise de position d'administrés légitimement exaspérés. "On les a enfin trouvés", semble-t-on nous affirmer, ces membres du bon peuple, sincères car non encartés, dont la voix est pure car non "instrumentalisée". Ainsi agit le tract dit "anonyme", retentissant d'une pensée que, manifestement, nulle organisation n'organise. Voici enfin trouvée la parole vraie, presque émouvante, au milieu de ce fatras de professionnels de la politique qui s'insultent par habitude. Et c'est imparable, puisque sans doute incontestable : une centaine de personnes au moins, sur les 28 000 que compte la commune, espère qu'enfin ces hommes-rats débarrassent leur propre plancher. En face, les organisations militantes se révoltent, s'insurgent, s'étranglent. Puissamment organisées, elles ne parviennent néanmoins pas à faire aussi fort que cette poignée d'anonymes. Car la voix de ces organisations ne défraie pas la chronique. Attendue là, leur voix ne porte pas. Ce que l'on veut voir apparaître à Ris-Orangis, au coeur d'une affaire que personne ne sait aborder, c'est le peuple, le spontané, celui qui ne ment pas, celui qui par définition s'avère pétri de bon sens. Quitte à ce que le pire sorte de cette bouche là.

L'action du PEROU n'a peut-être qu'un seul horizon : élaborer des outils afin qu'une bonne partie des 27 900 Rissois silencieux se saisisse enfin de ce qui a lieu, affranchie de la parole massue des partis comme de la parole assassine des misérables sectes. Un Collectif de Rissois Solidaire est né dans l'élan, sur le chantier de l'Ambassade. Il s'est organisé, se réunit tous les lundis à 18h30 dans l'Ambassade, invente un nouveau quotidien, apporte bientôt de l'eau ici-même et ramasse depuis deux mois les ordures ménagères des familles. Ce collectif doit s'étoffer de mille autres citoyens lassés de voir se répéter une non-politique clouant les familles au quotidien misérable qui est généralement le leur. Place de l'Ambassade, les Rissois viendront prendre part à ce qui s'avère effectivement une ville : un lieu d'échange, de solidarité, de construction commune. Ainsi verront-ils les masques tomber de ces Roms qui n'en sont jamais vraiment, et découvriront-ils sous le toit de l'Ambassade, ou sur le sol de la petite place que nous construirons ce week-end, le visage du peuple que nous formons d'être ensemble. Alors, la question pourra-t-elle se reposer autrement : quelle Europe construire, dans la situation économique et sociale qui est la nôtre et qui conduit nombre de nos voisins à vivre dans des bidonvilles, sous des tentes, dans des voitures ou sur le trottoir ? Alors, la question gagnera-t-elle en ampleur, en ambition. Alors, la question que posait mardi cette centaine de personnes réunies dans la Mairie se retrouvera-t-elle frappée de ridicule. Car ces enfants ne sont des rats qu'aux yeux de ceux qui ont la paresse des les ouvrir. Le visage de ces gosses, réinventé par de nouveaux regards se posant sur eux, prendra les traits de nos voisins. Trompé par l'évidence, la centaine d'anonymes se taira alors que parole sera rendue au peuple véritable, celui que nous devenons dans l'acte de construire ensemble.


dimanche 3 février 2013

Grâce à Héraclite


800 000 litres de déchets évacués en un week-end.
1 dos bloqué.
3 poulets engouffrés.
1 prodigieux plat de Toinette partagé.
1 atelier dessin offert aux enfants par Loubna.
1 atelier danse offert aux enfants par Emma.
5 nouvelles toilettes sèches mises en service.
2 bacs à compost construits.
30 pelles prêtées par Bellastock.
3 averses de grêle.
1 soleil resplendissant néanmoins.
50 ami(e)s mobilisé(es).
5 compagnons Emmaüs tout autant mobilisés.
1 journaliste du Parisien ébahi.
D'innombrables rats expulsés.

Ce fut un beau week-end.


Quant à la semaine à venir Place de l'Ambassade :

- Lundi 4 :
10h-12h : permanence
14h : Ecole des femmes donnée par Sophie Triniac ;
18h30-20h : réunion avec le Collectif de rissois solidaires.

- Mardi 5 :
10h-18h : Chantier sol.

- Mercredi 6 :
14h-18h : Atelier de création avec la plasticienne Joana Zimmermann.
(18h30 : apéropérou aux Caves Dupetit Thouars, au 12 rue Dupetit Thouars à Paris 3e).

- Jeudi 7 :
10h-18h : Chantier sol.
18h : Ramassage des ordures ménagères par le Collectif des Rissois solidaires.

- Vendredi 8 :
10h-18h : permanence.

- Samedi 9 :
10-12h : Atelier de danse avec l'innénarable Emma Saunders.

- Dimanche 10 :
18h : Ramassage des ordures ménagères par le Collectif des Rissois Solidaires.


Et une pensée que nous envoie Héraclite qui veille sur le PEROU :
"Sans l'espérance, on ne trouvera pas l'inespéré".


Place de l'Ambassade, 3 février

samedi 2 février 2013

L'apaisement


Jeudi dernier, il y eut tout un chapitre au Conseil Municipal de Ris-Orangis consacré à la dite "question Rom". Saisi de la chose par une question écrite, le Maire a rappelé qu'une Commune ne pouvait seule répondre à la situation, parole sage ô combien, mais parfaitement inutile étant donné qu'il ne se trouve pas une seule âme ici-bas pour prétendre le contraire. Le Maire a en outre insisté sur sa volonté que l'apaisement gagne enfin les esprits, parole ô combien nécessaire tant les deux tracts distribués sur les marchés de Ris-Orangis ce samedi matin rendent compte de la perte de sang froid de quelques uns (lire plus bas les deux grands morceaux de poésie en question). La controverse ainsi nourrie n'a que faire de ce qui effectivement a lieu. Elle se poursuit hors sol, à l'endroit où se livrent les misérables joutes partisanes, comme à l'endroit, souvent concomitant, où pullulent les fantasmes dont la publication reste, dans la République qui est la nôtre, passible de poursuites en pénal.

Alors, il est tout à fait dommageable que ces excités là, que le Maire désignait donc jeudi comme les ennemis de toute espèce de réponse sereine et apaisée, ne se soient pas déplacés jusqu'au coeur du dit "problème" après le marché. Place de l'Ambassade, ceux qui s'alarment légitimement de la présence des rats auraient, avec jubilation sans doute, décompté un à un les cadavres de rongeurs paniqués par les coups de pelles et de pioches donnés par notre armée d'une trentaine de valeureux nettoyeurs du dimanche, compagnons d'Emmaüs de Longjumeau y compris. Emportés par l'énergie et l'enthousiasme de cette équipée, et stupéfaits sans doute par la détermination des femmes du bidonville à lui prêter main forte - quel numéro de Radika et Eugénia ce matin, les deux anciennes du bidonvilles, les pieds tant et si bien plantés au beau milieu de la montagne de déchets, qu'elles la firent vaciller ! -, ils auraient nécessairement pris part à l'opération hors norme : en une journée, 500 sacs de 100 litres, soit 50 000 litres de merdes en tout genre évacués. Cerise, ils auraient partagé le couvert dans l'enceinte de l'Ambassade, et goûté ainsi à l'incroyable cuisine de Toinette. Il est fort à parier qu'ils seraient revenus demain, dès 10h, pour en remettre une couche dans la joie et la bonne humeur.

Dans l'effort, ces acharnés de la "solution" par la pelleteuse auraient eu le loisir de discuter avec les uns et les autres, et de comprendre que personne ici-même ne rêve de voir le bidonville se pérenniser, ce à quoi contribue précisément la pelleteuse qui ne fait que se reproduire telle situation, quelques mètres plus loin il est vrai. Ils auraient appris qu'ici-même nous pouvons mobiliser enfin tous les acteurs publics, bien au delà de la seule Mairie, pour faire la démonstration qu'une sortie du bidonville par le haut est envisageable : le Conseil Général en a fait le voeu par lettre écrite au Préfet lundi dernier ; le Ministère de l'Egalité des territoires et du logement, par l'entremise du PUCA, s'est engagé à prendre part au chantier par sa décision en date du 12 décembre 2012 ; la Délégation Interministérielle à l'Hébergement et à l'Accès au Logement s'est dite déterminée à s'engager dans le processus lors de notre réunion en date du 21 décembre ; lors d'une conversation téléphonique en date du 26 janvier que nous avons eu avec lui, le député Thierry Mandon s'est dit tout à fait favorable à la réunion de l'ensemble des acteurs concernés autour d'une table pour enfin travailler ; il n'est aujourd'hui que le Maire pour refuser de ne plus être seul face à la question, alors que lors de notre rendez-vous en date du 25 janvier il avait fait part de son désir d'entrer en projet avec le PEROU. Ces excités qui ne l'auraient donc plus été en apprenant tout ceci auraient définitivement compris qu'ici-même nous prenons soin de l'espace, et ainsi des personnes dont on parle beaucoup mais auxquelles on a pris l'habitude de ne pas parler. Ainsi, auraient-ils saisi que ces citoyens européens rêvent d'habiter avec nous, et avec eux par là même, dans la sérénité et l'apaisement.







Radika et Eugénia à l'oeuvre

L'oeuvre de Rodika et Eugénia, et de quelques autres...