samedi 29 décembre 2012

Dany ira à l'école


L'immensité du sourire de Dany et le feu d'artifice qui très souvent anime son regard font croire que rien ne saurait être refusé à ce gamin de 8 ans. A Ris-Orangis pourtant, on lui refuse l'accès à l'école.
En pleine journée, j'ai vu Dany tourner jusqu'à l'ivresse entre les baraques, seul mais hilare, comme s'il parvenait à peupler son triste monde de dizaines d'autres gosses. Secrètement, à la force d'une imagination sans doute coriace, il semble braver l'interdit municipal et s'inventer pour lui seul une cour de récré tumultueuse. Souverainement, il fait ainsi front à l'hostilité du monde et désarme les imbéciles qui nous gouvernent. Mais sa récré n'a pas de fin, et jamais la sonnerie pour Dany ne carillonne pour lui signifier la rentrée des classes. Lorsque l'ivresse vient à se dissiper, ou lorsque le climat l'exige, ce fils unique se blottit dans les quelques mètres carrés où vivent son père et sa mère. Là, scrutant le poêle à bois ou les panneaux publicitaires qui servent au presque logis de papier peint, il attend que les vents tournent. Fatigué de ne pas voir venir un autre monde, il perd parfois un peu de sa superbe. 


Dany, le 18 décembre 2012, après une visite à l'école
voisine pour distribuer à ses futurs camarades de classe
des invitations pour la fête du samedi 22 décembre.


Il y a la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée le 26 janvier 1990 à New-York. Parmi les droits qu'elle énonce, sans aucune considération "de race, de couleur, de sexe, de langue (...) d'origine nationale, ethnique ou sociale", figure en bonne place le droit à l'éducation pour l'exercice duquel "les Etats parties (...) rendent l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous". Il y a la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et son protocole additionnel n°1 dont l'article 2 dispose que "nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction", et dont l'article 14 pose le principe de la non discrimination sur ce sujet précis. Mais il y a aussi la législation nationale, et le code de l'éducation affirmant que "tout enfant a droit à une formation scolaire qui, complétant l'action de sa famille, concours à son éducation", et ajoutant que "l'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six et seize ans". Au delà de la période d'instruction, le droit à l'école s'étend aux enfants français comme étrangers à la maternelle et aux classes enfantines où "tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l'âge de trois ans (...) si la famille en fait la demande". 

Malgré ces textes à la clarté peu discutables, certains élus se sont obstinés dans le refus à l'endroit de l'enfant étranger ou dont la famille occupe un domicile sans droit ni titre. Dans les annales du GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigrés / www.gisti.org), on trouve par exemple le cas du maire du XVe arrondissement de Paris, René Galy-Dejean qui, en octobre 2001, "estimait qu'inscrire des enfants habitant dans un squatt signifiait pérenniser l'occupation sans droit ni titre d'une part, et mettre en péril la santé des enfants, étant donné que l'immeuble "ne correspond pas aux normes de sécurité" d'autre part. Ces arguments ont été balayés par le juge administratif, qui a considéré que ces motifs étaient sans lien avec les pouvoirs d'inscription sur la liste scolaire que confèrent au maire les dispositions législatives et que, par conséquent, sa décision était entachée d'une erreur de droit".
Une circulaire ministérielle du 20 mars 2002 est venue rappeler aux élus quelques-uns de leurs devoirs les plus indiscutables, précisant qu'"il n'appartient pas au ministère de l'éducation nationale de contrôler la régularité de la situation des élèves étrangers et de leurs parents au regard des règles régissant leur entrée et leur séjour en France. (...) En conséquence, l'inscription, dans un établissement scolaire, d'un élève de nationalité étrangère, quel que soit son âge, ne peut être subordonnée à la présentation d'un titre de séjour".
D'ailleurs, il convient de souligner aux élus les plus étourdis que, jamais, un enfant ne s'avère en situation irrégulière. L'article 6 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France dispose en effet que "tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France doit, après l'expiration d'un délai de trois mois depuis son entrée sur le territoire français, être muni d'une carte de séjour (...)". A contrario, les étrangers âgés de moins de dix-huit ans ne sont pas tenus d'être en possession d'un titre de séjour. 

Malgré ces précisions on ne peut plus claires, certains élus s'obstinent encore dans le refus, justifiant leur position comme à Ris-Orangis à partir de l'argument selon lequel des enfants n'ayant pas de domicile sur leur commune ne peuvent accéder aux écoles des dites communes. 
Il y a un premier contre argument de bon sens : la domiciliation stricto-censu a été refusée à nombre de ces personnes résidant à Ris par le CCAS (Centre communal d'action sociale) alors que tel refus ne peut s'entendre que si les personnes ne justifient d'aucun lien avec la commune (circulaire du 25 février 2008). En tout premier lieu donc : refuser l'accès à l'école, après avoir refusé la domiciliation, pour cause de non domiciliation est d'une perversité sans nom.
Il y a un second argument portant sur la notion de domicile qui en droit positif, et indépendamment de la procédure de domiciliation, s'applique à tout lieu d'habitation sur lequel il y a, selon le doyen Jean Carbonnier, "présomption simple de présence permanente". Le domicile est donc en droit le lieu du principal établissement, et ce quel que soit le statut de cet établissement comme l'enseigne une jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation : il est le "lieu où une personne (...) a le droit de se dire chez elle, quel que soit le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée aux locaux". 
Il y a un troisième argument inspiré du droit civil, et en particulier du Code de l'action sociale et des familles qui stipule que "l'absence d'une adresse stable ne peut être opposée à une personne pour lui refuser l'exercice d'un droit, d'une prestation sociale ou l'accès à un service essentiel garanti par la loi" (L264-3). La condition de la domiciliation pour accepter un enfant dans une école tient un peu moins encore, si tant est qu'elle ait tenue jusque là, au regard d'un texte qui rappelle que le droit de la République connaît la hiérarchie des principes, et que l'accès à l'école ne saurait être subordonné à quelque condition secondaire que ce soit.
Il y a un poing sur la table en guise de quatrième argument, celui de l'actuelle Ministre déléguée à la réussite éducative, alias George Pau-Langevin. Pour faire énième clarté sur l'obligation, pour un élu, de scolariser quelque enfant étranger qui le demande, celle-ci a, le 12 septembre dernier, transmis aux recteurs trois circulaires d'application immédiate. Le premier texte " vise à favoriser la fréquentation régulière d'un établissement scolaire dès l'école maternelle, à améliorer la scolarisation des élèves issus de familles itinérantes et de voyageurs". Le deuxième texte, portant sur la scolarité des élèves non francophones nouvellement arrivés, stipule que "l'obligation d'accueil dans les écoles et établissements s'applique de la même façon pour les élèves allophones arrivants que pour les autres". Le troisième texte "vise à définir les missions et l'organisation des Casnav", Centres académiques pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage créés en 2002.

La Ministre avait annoncé fin août la publication de ces circulaires pour "inciter les éducateurs et les recteurs à aplanir les difficultés qui existent concernant la scolarisation de ces enfants, parfois pour des questions de domiciliation ou de questions sociales". Autrement dit, pour rappeler que rien ne saurait justifier le refus de scolariser un enfant étranger, Roumain y compris, ou encore que le droit à la scolarisation est un droit inconditionnel. Par conséquent, Dany ira à l'école. 


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