dimanche 9 décembre 2012

Péril sanitaire

L'année 2012 aura été celle de la multiplication d'arrêtés municipaux contre les occupations "sans droit ni titre". Alors que les bidonvilles étaient auparavant "démantelés" (comme toute espèce de filière criminelle !) suite à des procédures judiciaires de droit commun, de nombreux maires ne s'embarrassent désormais plus des procédures contradictoires et, à la force d'un simple arrêté, ordonnent expulsions et destructions.

La procédure de droit commun présentait plusieurs avantages pour qui défend les droits les plus élémentaires de la personne : la notification aux familles de l'engagement d'une procédure, permettant de l'anticiper et de s'organiser pour un éventuel départ ; la convocation devant le juge, permettant accessoirement de se défendre, et de faire valoir un certain nombre de droits. La tradition d'exception à la loi a été instituée en janvier 2012 par un certain Manuel Valls, alors Maire d'Evry. Elle fit la une de quelques journaux attentifs le 27 août dernier, alors que dans la même ville d'Evry le successeur du Ministre de l'Intérieur, Francis Chouat, s'était lui-même aventuré à expulser un bidonville en s'armant d'un arrêté alors que, le lendemain, un juge saisi de cette affaire en bonne et due forme devait rendre son verdict ! Ainsi se manifestait, cerise sur le gâteau, le mépris pour le travail de la justice.

Les maires font valoir un argument béton permettant de diligenter forces de l'ordre et pelleteuses : "le péril sanitaire". Le 28 août, Francis Chouat répétait ainsi à qui mieux mieux qu'il y avait le 27 août, sous les yeux de la République, "urgence sanitaire". Du haut de son Ministère, Manuel Valls s'empressait d'abonder dans ce sens le jour même sur l'antenne d'Europe 1. L'air grave, il déclarait : "La politique que nous avons fixée sous l'autorité du Premier Ministre c'est d'évacuer des campements quand il y a une décision de justice, ou (avec intonation adéquate pour réveiller l'auditoire) quand la situation sanitaire en matière de sécurité (scabreuse expression s'il en est) est insupportable". Le Ministre d'ajouter : "Moi, je ne peux pas supporter, non seulement comme Ministre de l'Intérieur, mais comme citoyen, comme militant de gauche, ces bidonvilles, ces baraquements (avec, là, une intonation subtile permettant de faire entendre un dégoût de bon aloi) où des gens vivent dans des conditions tout à fait insupportables". Il est utile de prolonger l'écoute de cette intervention, puisque Manuel Valls souligne quelques secondes plus loin que le Préfet a le devoir de trouver des solutions de relogement avant d'expulser et détruire, ce qui est, l'expérience le démontre de manière éclatante, une douce chanson visant à faire se rendormir l'auditoire (écouter l'intervention du Ministre)


Ris-Orangis, samedi 8 décembre 2012


Ces dernières années d'une politique prétendument de bon sens, dure mais juste, rendent compte d'une absurdité radicale : être expulsé, voir son installation détruite et ses affaires ensevelies conduit une famille Rom (mais aussi sans aucun doute Bretonne, Malgache ou Pygmée) à se retrouver dans une situation (sanitaire, sociale, de sécurité, etc) pire que celle dans laquelle elle se trouvait avant l'expulsion. C'est d'ailleurs ce que deux décisions très récentes de (très) hautes cours sont censées nous enseigner :
- l'une du Conseil Constitutionnel qui, par sa décision 2011-625DC datant du 10 mars 2011, s'oppose aux dispositions contenues dans la loi dite LOPPSI 2 (Loi d'Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure, votée par le Parlement en décembre 2010) visant l'évacuation et la destruction en référé de campements illicites au motif que "ces dispositions permettent de procéder dans l'urgence, à toute époque de l'année, à l'évacuation sans considération de la situation personnelle ou familiale, de personnes défavorisées et ne disposant pas d'un logement décent".
- l'autre de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, excusez du peu, qui par sa décision du 12 octobre 2010 Société Cofinco c. France, invalide une procédure d'expulsion d'occupants sans droits ni titre en France au motif que ces occupants "se trouvaient dans une situation de précarité et fragilité, et apparaissaient mériter, à ce titre, une protection renforcée".


Ris Orangis, samedi 8 décembre 2012

Il faudrait que rapidement les acteurs politiques susnommés observent ce qui a effectivement lieu pour saisir la profonde absurdité de leurs actions conduites au nom du "péril sanitaire". Il faudrait au moins qu'ils entendent ce que deux des plus hautes juridictions européennes racontent, puisqu'en théorie ils sont parfaitement soumis à leurs décisions. Et si cela ne suffisait pas, il faudrait qu'ils méditent une minute l'Histoire de l'humanité, et qu'ils se demandent à quelle étrange époque, dans quelle improbable contrée, d'invraisemblables peuplades auraient cru bon de systématiquement détruire des habitations pour empêcher que celles-ci ne tombent sur la tête de leurs occupants. Il y a un autre bon sens, nourri d'humilité, qui consiste à penser que si un balcon menace de tomber, détruire l'immeuble n'est pas la plus judicieuse des solutions à mettre en oeuvre. Certes constater qu'il y a péril est chose aisée : rats, boue, et fragilité des baraques crèvent les yeux. Mais entreprendre d'y répondre avec mesure et bon sens, en commençant par faire disparaître les rats, mettre à disposition des bennes, évacuer la boue et renforcer les baraques n'est peut-être pas complètement sot. L'objection est automatique : construire n'est pas une solution. L'objection est peut-être plus fine et mesquine : fixer "ces gens là" ici n'est pas ce que l'électorat prétendument de base souhaite de tout coeur. Mais peut-être que construire s'avère le plus court chemin pour sortir de là. En tout cas, et incontestablement, détruire ne cesse de replonger ces familles encore davantage parmi les rats, encore davantage dans la boue, encore davantage sous des abris bringuebalants. Et, que l'électorat s'en persuade, la destruction appelle un nouvel établissement, non loin de là, encore davantage "exaspérant" aux yeux de tous.

Alors, avec des riverains de Ris-Orangis, démontrant au passage que les Français ne sont pas unanimement disposés à manifester contre les Roms et à brûler les bidonvilles, le PEROU a engagé ce samedi 8 décembre une élémentaire action de nettoyage. Pour évacuer les déchets, amoncelés là faute de ramassage public ou de benne déposée à proximité (demande a été faite, en vain), qui ont été jetés dans les décharges voisines. Pour tenter de faire disparaître les rats, monstrueux, épais comme on en croise rarement. Pour répondre, de manière constructive et, cerise sur le gâteau, dans la joie et la bonne humeur, au dit "péril sanitaire". Qui menace effectivement.


Ris-Orangis, samedi 8 décembre 2012





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire