vendredi 31 janvier 2014

A la Folie !

Dix mois sont passés depuis l'installation des familles sur le terrain de la Folie, chassées qu'elles furent le 3 avril de la Place de l'Ambassade. Le temps, largement, d'inventer un monde. Las : c'est le spectacle d'un entêtement que nous avons observé, et bien évidemment consigné dans nos archives.

A Ris-Orangis, la Mairie socialiste ordonnait la destruction du bidonville de la Nationale 7 "pour la sécurité des personnes". A Grigny, la Mairie communiste suivait la pente, au degré d'inclinaison près, en demandant qu'on expulse, la main sur le coeur. Devant le juge le 15 novembre dernier, l'avocat de la Mairie tint en effet un discours merveilleusement délirant. Nous fut d'abord narré, comble d'ironie, le projet d'un centre commercial vital à l'économie de la commune pour justifier d'enfoncer un peu davantage, par l'expulsion répétée une énième fois, les familles dans leur économie dérisoire. Nous fut ensuite offerte une plaidoirie sous forme de syllogisme abracadabrantesque. En substance : "Nous nous opposons à la politique de violence consistant à expulser sans solution" ; "Ne pas expulser les familles de Grigny serait absoudre l'Etat et l'encourager à ne pas assumer sa responsabilité de trouver des solutions" ; "Nous demandons donc l'expulsion parce que nous nous y opposons". Avec une main, nous nous frottions les yeux, avec l'autre nous prenions note à l'éructation de honte près. Un jour prochain nous publierons le verbatim de cette séance, pour mesurer combien l'absence de vergogne nous gouverne.
On s'entête donc à reproduire la même politique écervelée : au motif ô combien moralement élevé que l'on s'oppose à ce que se pérennise le bidonville, on détruit celui-ci et contribue donc à faire se pérenniser le bidonville. L'entêtement burlesque, la folie en étendard.

Puisqu'au PEROU nous sommes également têtus, nous reprenons le chemin de la Folie, nom merveilleux que porte ce terrain sur lequel sont installées aujourd'hui les personnes "chassées de toutes parts" comme le décrit le dernier rapport d'Amnesty International. Le juge a entre temps délibéré : nulle expulsion ne sera ordonnée avant le 31 mars, fin de la trêve hivernale et, accessoirement, lendemain du deuxième tour des élections municipales. Nous ne savons pas de quoi l'avenir sera fait, mais savons de quoi il en retourne au présent : une situation sanitaire inquiétante, boue, rats, feu menaçant, et fumées étouffantes. Nous sommes têtus car nous sommes convaincus qu'agir au présent, notamment pour répondre à ces urgences, est le seul moyen d'inventer un nouvel avenir : sécurisé, le bidonville peut devenir le théâtre d'un travail serein de construction de solutions durables, hors le bidonville, à l'abri de l'urgence. Et nous nous sommes promis une chose simple, élémentaire : d'en faire la démonstration.

Alors, fin décembre, nous avons adressé une lettre aux habitants. Une par foyer, soit quarante courriers pour proposer à chacun de nous formuler des doléances à la réalisation desquelles nous pourrions ensemble nous mettre à travailler : pour le présent, pour l'avenir. Nous avons reçu en retour une trentaine de lettres, parfois magnifiques. On nous alerte : les toitures fuient, les rats se multiplient, la boue rend le terrain impraticable et les enfants un jour sur deux ne sauraient même le traverser pour rejoindre l'école. On rêve un peu davantage : des toilettes et des douches que la majorité demande ; une salle commune, un lieu pour inviter les riverains, peut-être pas une ambassade non, mais un consulat au moins ! On insiste : des CV, et un emploi, et pas qu'un seul, et pour tout le monde. Voilà donc esquissé un programme, que nous nous donnons de suivre, programme dessiné ci-dessous :








Pour ce faire, nous sommes nombreux, très nombreux à avoir vu passer ces dix mois comme une perte de temps lamentable, très nombreux à vouloir enfin agir. Pour ce faire, nous avons réuni des fonds, notamment grâce au soutien indéfectible de la Fondation Abbé Pierre qui, dans le même temps, sort un Rapport sur le mal logement accablant (résumé ici). Pour ce faire, nous avons besoin de l'enthousiasme et de la détermination de tous. Pour construire, prendre soin des personnes mais aussi des lieux, faire de cette action une fête.
Avant l'échéance du 31 mars, neuf week-end s'offrent à nous. Nous nous proposons, nous vous proposons, de les occuper avec douceur et folie. Chaque samedi, un déjeuner sera offert par les riverains. Demain samedi 1e février, c'est Yvette qui régale ! Chaque week-end, nous projetterons des films, accueillerons des artistes tels que Didier Galas ou Miléna Kartowski qui, déjà à Noël, ont apporté un peu de leur folie sur la Folie. Et, chemin faisant, nous transformerons le présent, et donc l'avenir, ensemble. Nous ferons de la politique, à l'endroit même où la politique se réduit à défaire, et poursuit une défaite.


PS 1 : Ce billet est le dernier du blog de l'Ambassade de Ris-Orangis, et le prochain sera publié sur un blog tout neuf, dédié à la Folie. Mais quoi qu'il en soit, pour nous suivre contactez-nous à : contact@perou-paris.org

PS 2 : Pour nous retrouver directement sur le terrain, dès demain 10h du matin, suivez les pointillés ci-dessous (la gare RER en question est celle de Grigny-Centre, desservie par la ligne D) :



PS 3 : Nous préparons, dans le même élan, la sortie de bien des publications réjouissantes. Un livre collectif le 14 mars réunissant les contributions de 32 auteurs sur la destruction du bidonville de Ris-Orangis (Jean-Christophe Bailly, Etienne Balibar, Stéphane Bérard, Chloé Bodart, Patrick Bouchain, Robert Cantarella, Charlotte Cauwer, Julien Choppin, Hélène Cixous, Gilles Clément, Margot Crayssac, François Cusset, Nicola Delon, Valérie de Saint-Do, Jac Fol, Jean-Michel Frodon, Didier Galas, Edith Hallauer, Cyrille Hanappe, Loïc Julienne, Isabelle Lassignardie, Franck Leibovici, Ronan Letourneur, Francis Marmande, Béatrice Mésini, Olivier Quintyn, Ramona Strachinaru, Richard Sabatier, Merril Sinéus, Michel Surya, Aude Tincelin, et Jean Torrent), Un imagier trilingue (Français, Romanes, Roumain) fin mars que nous offrirons aux classes dans lesquelles sont scolarisés les enfants. Un nouveau film, au printemps, réalisé à partir de séquences que tournent en ce moment même les familles, dont le processus de réalisation est visible ici. Et, dans l'année 2014, un livre sur l'ensemble du travail conduit dans l'Essonne, et une exposition en octobre, novembre et décembre, dans un haut lieu de l'architecture.

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