dimanche 9 février 2014

La possibilité d'une ville (un appel urgent)


"L'éloignement" est le nom de la politique qui prévaut aujourd'hui à l'endroit de celles et ceux avec lesquels le PEROU inlassablement construit. Cette politique s'adosse à des représentations tissées par nos soins, par la collectivité féroce que nous formons : innombrables sont nos images, textes, et discours qui concourent à désigner nombre d'individus, sans doute de plus en plus nombreux, de telle manière à ce que leur proximité nous apparaisse contre-nature. Alors, les mesures consistant à les chasser au loin ne se laissent pas saisir comme délirantes et assassines : comme il se doit, on remet ainsi les choses en place. Alors, la politique qui prévaut, à aucune exception partisane près, ne porte officiellement pas le nom de "l'éloignement". Elle se livre, publiquement, comme rationnelle et raisonnable, condamnant ses opposants au statut de fous dangereux au pire, de doux rêveurs au mieux.


Cuisine d'une femme n'ayant pas "vocation"
à habiter Grigny (Grigny, 8 février)

Il en va ainsi des lointains sociaux : sans-domicile fixe et autres cas sociaux, corps pathologiques que  des professionnels du secteur "diagnostiquent" avant leur mise en quarantaine dans des centres décentrés. Il en va ainsi des lointains économiques : sans-emploi et autres "assistés" que, de bonne grâce, l'on intègre dans des logements sociaux éloignés de tout, et en premier lieu de ce qui fait d'une ville une ville. Il en va ainsi des lointains géographiques : les prétendus" migrants", comme si leur mouvement était perpétuel - tel un penchant naturel - dont on s'épargne de concevoir l'accueil puisque leur identité est ainsi faite qu'ils s'en désintéressent. Il en va ainsi des lointains ethniques : ceux que l'on nomme "Roms", plus efficace que "bidonvilliens", mais désignant effectivement quiconque vit dans un bidonville - comme s'il s'agissait là d'une seconde nature - et se vautre - avec complaisance - dans le larcin et la manche. Cela s'entend : leur présence dans nos villes s'avère une contradiction logique. Leur éloignement résulte donc à nos yeux malades d'un allant-de-soi, non d'une politique de violence, que le terme "guerre" reste le plus à même de désigner.


Des membres du PEROU : plus de vingt-cinq ce week-end
venus construire de nouveaux rapprochements avec la ville
(Grigny, 8 février)

Si la pelleteuse met effectivement en oeuvre le mouvement salutaire de nettoyage, l'éloignement est préparé par certains actes - et non-actes - administratifs. La semaine dernière, nous nous rendons au CCAS (Centre communal d'action sociale) de la commune de Grigny, structure compétente pour accorder une adresse administrative - dite "domiciliation" - a quelque sans-abri que ce soit établi sur le territoire de la commune. Nous nous y rendons avec trois personnes du bidonville de la Folie qui ont un besoin crucial de telle adresse : nécessaire pour faire valoir ses droits civiques comme sociaux, elle l'est tout autant pour signer un contrat de travail. L'accueil est glacial : les trois personnes restent à la porte du bureau de la responsable du CCAS, bureau que seuls nous avons l'autorisation de pénétrer. Là, un dialogue invraisemblable.
Nous : "Ces personnes souhaitent obtenir une adresse administrative à Grigny". Elle : "Elles doivent avoir une carte de séjour, l'autorisation de vivre ici". Nous : "Depuis janvier 2014, ce sont des Européens comme vous et moi". Elle : "Vous me l'apprenez. Mais le Maire a de toute façon demandé qu'il n'y ait plus de domiciliation accordée aux Roms". Nous : "Qui vous dit qu'ils sont Roms ? Tout ce que nous savons c'est qu'ils vivent dans le bidonville de la Folie". Elle : "Le Maire a dit qu'il n'y aurait plus de domiciliation pour les personnes vivant en bidonville". Nous : "Considérons qu'ils sont sans-abri si vous le voulez bien ?". Elle : "Ecoutez, le Maire ne veut pas être envahi, car ça va coûter cher à la Mairie qui est pauvre. Vous n'avez qu'à attendre que la Mairie change aux prochaines élections". Nous : "??!".
Nous sommes repartis avec, sous le bras, notre colère en sourdine, et, dans la tête, le texte de loi, en l'occurrence n° 2007-290, précisant qu'un CCAS ne peut refuser l'élection de domicile de personnes sans domicile stable qui en font la demande que si ces dernières ne présentent aucun lien avec la commune. Sans doute devons-nous assaillir le CCAS des preuves que nous avons : des milliers de photos, 40 CV, des films, des textes, des dizaines de témoignages. A moins que l'on entende mieux ce que dit la loi : que c'est à la Mairie de prouver que les liens sont inexistants. Et que l'on entame une procédure contre celle-ci.

Au PEROU, contrairement à ce qui prévaut, nous construisons des rapprochements. Par les actes, en commençant par raccrocher le bidonville à la ville ; par le plus élémentaire des pragmatismes, en mettant fin à la dérive organisée par les édiles très efficaces dans l'art de laisser pourrir le bidonville pour mieux s'offrir la légitimité de l'évacuer dans l'urgence. Ainsi avons nous déployé ce week-end trois nouvelles tonnes de copeaux de bois, épongeant enfin la quasi totalité de la boue de ce terrain argileux. Ainsi avons-nous poursuivi le drain, jusqu'à ce qu'il traverse de part en part le bidonville, drain recouvert d'une passerelle construite à partir d'une centaine de palettes récupérées dans les alentours. Au moyen de tissages et de ponts, ainsi s'élaborent de nouveaux espaces propices à l'invention d'un temps nouveau.





La Folie cultivée, une passerelle en émerge.
(Grigny, 8 février).


Grâce au pont tendu entre le bidonville et l'Ecole Nationale Supérieur des Arts Décoratifs, nous organisons cette semaine un workshop consistant à concevoir de nouveaux CV pour une quinzaine d'adultes. Autant d'outils pour, précisément, tendre de nouveaux ponts entre le bidonville et la ville. Dans le même élan, nous souhaitons faire que le bidonville soit connecté à Internet par une borne d'accès wi-fi gratuite que Mathias Jud et Christoph Wachter nous proposent d'installer. Pour ce faire, ces deux artistes suisses qui ont déjà oeuvré à Montreuil notamment (voir l'article paru dans Libération à ce sujet ici) ont besoin de se raccorder à une connexion existante dans le voisinage. Cette connexion source ne sera pas altérée, et même peut-elle être boostée par ces experts. En outre, ce piratage n'a absolument rien d'illégal, en plus d'être potentiellement d'une utilité cruciale pour notamment chercher du travail. Mais il nous faut trouver la divine source avant mardi. Ceci est donc un appel, urgentissime : qui pour tisser un lien nouveau, aux antipodes de l'éloignement qui prévaut ? (Si quelque piste que ce soit, nous contacter sur contact@perou-paris.org).


La Folie, Grigny, 9 février






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