Mercredi 9 juillet, accompagné de cinq hommes en uniforme, l'associé de Monsieur Papillon, huissier de justice à Evry, s'aventurait sur la Folie tirant une valise, volumineuse et solide. Il répertoriait les adultes présents, des dizaines comme escompté. Il ouvrait sa valise, et remettait à chacun 13 pages dactylographiées, recto-verso, comprenant la signification d'ordonnance rendue par le juge le 13 décembre dernier, ainsi que le commandement de quitter les lieux. De les "libérer" était-il ajouté pour faire plus sympathique. "Immédiatement et sans délai", était-il en gras et majuscules précisé pour faire moins sympathique.
Extraits du document délivré aux familles de la Folie le 9 juillet par l'associé des huissiers Papillon. |
La visite de l'huissier Papillon ne manquait pas de produire immédiatement son effet : promettant l'affrontement imminent, ces 13 pages commandaient effectivement aux familles de fuir. Notamment celles comprenant des enfants auxquels on préfère évidemment épargner le face à face avec les pelleteuses. En quelques jours, la moitié des familles se sont évanouies dans la nature, préparant déjà la reconstitution d'un nouveau bidonville. Nous leur avons données tous les matériaux investis sur la Folie par le PEROU ces dernières semaines : le bois de la résidence, celui du parquet, la toile et les bâches. Avec le soutien d'Emmaüs, nous avons mis de côté de nombreux bagages, sacs de vêtements et de couvertures. Au quotidien, nous consignons les objets que chacun souhaiterait emporter un peu plus loin, et veillerons autant que possible à les mettre à l'abris la veille du passage de la pelleteuse. Liste à la Prévert, assortie de quelques redondances frappantes : lit ; poêle à bois ; meuble ; poêle à bois ; bâche ; poêle à bois ; vélo ; poêle à bois ; boules en plastiques qu'ô grand jamais nous ne laisserons piétiner par un régiment de CRS ; poêle à bois ; vaisselle ; etc.
"Que mettre à l'abris rapidement si les pelleteuses venaient à passer ?" Une consigne, 13 juillet 2014 |
Dans quelques semaines, le Maire de Grigny, ou celui de Ris-Orangis, ou celui d'une commune toute proche déplorera la présence d'un nouveau bidonville, qu'il s'efforcera de faire disparaître rapidement. Après l'effet Papillon, l'effet plumeau : des personnes telles de la poussière que l'on balaie, qui disparaissent quelques instants, puis se déposent un peu plus loin. Nouveaux indésirables moutons agglutinés dans un coin du territoire, qu'il conviendra de nettoyer encore et encore. Tout en prétendant qu'il n'y a rien d'autre à faire. Coups de balais de luxe : 320 000 euros le passage. Qu'importe, on déraisonne en coeur de nos jours. Ce qui importe : que le voisin fasse de même. On expulse pour se fondre dans l'air du temps, lâches et sans audace ça va de soi. Le pire serait de prendre le risque de faire mieux, et de contredire l'évidence rapportée par les "responsables" à l'unanimité ou presque : qu'il n'y a vraiment pas d'autre solution.
"Des choses à récupérer ? Notre vaisselle !" |
La diplomatie du PEROU a conduit les maires sur les territoires desquels elle s'est retrouvée à faire pire, c'est à dire à rompre avec l'évidence la plus misérable, et à ne pas agir aussi aveuglément que leurs voisins. A Ris-Orangis, on tendait aux familles la menace d'un nettoyage radical : "Il faut rapidement vous installer ailleurs !", leur affirmait le Maire lors d'une virée sur le bidonville de la Nationale 7 début décembre 2012. En mai 2013, 10 familles parmi celles qui avaient été ainsi menacées étaient accueillies dans un lieu de vie temporaire, dans le cadre de ce qui s'avérait le tout premier projet d'insertion mis en place en Essonne. A Grigny, on revendiquait la tolérance zéro, la fermeté non sans une pincée d'humanisme : "Donnons-leur de quoi manger, afin qu'ils ne fassent plus la manche devant la Poste, mais qu'ils sachent bien qu'ils ne passeront pas l'hiver !". Ainsi s'emportait le premier adjoint au Maire lors d'une réunion en mai 2013. En juin 2014, l'hiver passé depuis longtemps, on nous informait qu'un projet s'envisageait. Aujourd'hui même, les pouvoirs publics se mobilisent effectivement afin de donner vie à ce projet sur un terrain situé à quelques centaines de mètres de la Folie.
Tout en gérant le quotidien étouffant créé par la menace du pire, nous nous efforçons de travailler dans le sens de cet hypothétique projet, achevant ces prochaines semaines les études conduites avec les familles afin de concevoir des lieux de vie temporaire de qualité. Aussitôt que possible, nous déposerons ces études sur les bureaux du Préfet, du Conseil Général et de la Mairie. Le PEROU est hautement méprisé par la Mairie : nous sommes dangereux et malhonnêtes, évidemment manipulés par des forces politiques adverses. Par conséquent contraints de ne pouvoir collaborer à la mise en oeuvre du projet municipal, nous nous contenterons d'envoyer au Maire le fruit des travaux des quatre équipes d'architectes accueillies en résidence sur le terrain de la Folie ces dernières semaines. Nous ajouterons une pierre à l'édifice : une salve régulière d'emails adressés à ce Monsieur Philippe Rio afin que, malgré le "nettoyage" prochain de la Folie, il remue effectivement ciel et terre en vue de la bonne réalisation de ce projet d'insertion.
"Après le bidonville". Premières esquisses du collectif Prémices, juin 2014. |
Aujourd'hui même, le bidonville de la Folie se dégrade à vue d'oeil, les familles le désertant autant qu'elles le peuvent. La Mairie n'en attendait sans doute pas moins en diligentant l'huissier Papillon mercredi, alors que devant le Conseil Général il y a quelques jours elle jurait grand Dieu que l'expulsion n'aurait pas lieu avant l'aménagement effectif du terrain choisi pour accueillir dix familles. Pour un Maire soucieux d'afficher son légendaire humanisme, rien de plus agréable que l'auto-expulsion : la pelleteuse n'aura quasiment plus qu'a rassembler les déchets et morceaux de baraques abandonnées ; aucune image ou presque ne saura à déplorer des forces de l'ordre jetant sur les routes de Grigny femmes et enfants.
Le PEROU s'est engagé en Essonne non pour manifester son indignation, mais pour en apprendre sur la situation, sur les causes de cette déroute généralisée à la France entière, sur les chemins éventuels à entreprendre pour sortir de ces impasses. Nous avons encore à rassembler savoirs et savoir-faire constitués durant ces deux années, pour les transmettre à d'autres que nous, y compris aux élus sous la forme d'un guide pratique en réponse à "l'art municipal de détruire un bidonville". Car en face, cela fait des années que les pelleteuses s'escriment, que les textes s'éprouvent, que les stratégies s'affinent du passage de l'huissier à la manipulation de la presse comme des familles elles-mêmes. Des sommes résultent de l'expérience ainsi accumulée, tel le guide de 12 pages publié par Christian Estrosi il y a un an, formidable manuel de l'hostilité à l'usage des Maires de France et de Navarre. Se contenter de cris d'orfraie, de manifestations de colère ou de banderoles d'indignés est aussi inefficace que dangereux : la névrose des Shadocks menace quiconque répète un même geste attendant qu'un résultat nouveau en advienne. Il nous faut tout réinventer, des formes comme des desseins de la résistance au pire, des techniques comme des discours qui la constituent. En s'appuyant sur une évidence, obscène pour la plupart, y compris chez celles et ceux qui se veulent "défenseur des plus pauvres" : que dans le bidonville comme ailleurs, c'est la vie et non l'indignité qui règne, que c'est la folie et non la misère qui commande. Le PEROU s'est donné cette ligne, élémentaire : suivre le chemin de la vie qui a lieu, de la folie qui invente, insulte souveraine adressée au passage de la pelleteuse et aux lâches et transits de peur qui le programment.
Un message à adresser à la pelleteuse ? Bidonville de la Folie, Grigny, 13 juillet 2014. Photo : Laurent Malone |
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