Il y a toujours, dans l'air de ce printemps qui prétend-on s'avance, un vent qui glace, la menace d'une expulsion toujours annoncée, malgré tout l'enthousiasme, malgré toutes les promesses. Aujourd'hui encore, vers 15h, deux uniformes ont traversé le bidonville en trombe, appareils photos au poing, jusqu'à tourner autour de l'Ambassade en promettant à tout vent que celle-ci, un jour très prochain, serait enfin détruite. On rapporte même que l'un des deux uniformes souriait ostensiblement. Pendant que l'autre, pour rééquilibrer les choses, serrait sa mâchoire aussi fortement que l'exercice en cours d'exécution le commandait sans doute à ses yeux.
C'est une drôle de politique que celle qui prend l'intimidation comme horizon. Quelqu'un, dans un bureau, la programme en tenant à peu près ce discours : "Messieurs, vous irez dans le bidonville de la Nationale 7 pour y semer un petit vent de panique". A l'heure où la Mairie, le Conseil Général et l'Etat réunis travaillent à inventer des réponses constructives, cette expédition est d'un goût douteux. Rien ne l'explique, rien ne la fonde, si l'on se place du côté de la raison. A moins que, sous l'uniforme, on déraisonne. Ou qu'un scabreux plaisir y palpite.
Dolari, quoi qu'il arrive |
Quelques heures plus tôt, dans cette même ambassade, une délégation du Conseil Général avait pris ses quartiers. Là, on avait convié la population : parmi les chantiers d'insertion en cours d'être inventés, quelques uns se présentent immédiatement, et des places sont à prendre. Ainsi invitait-on 17 personnes exactement, sélectionnées par les soins du Conseil Général lui-même, à se rendre demain matin, à 9h, à des entretiens d'embauche. Le bidonville était traversé de joie, et d'amertume. De chaud et de froid. Nous sommes restés sur la place ensuite, à parler, et parler encore. Pour faire se mêler le chaud et le froid, et trouver un tiède somme toute agréable en cet hiver traînassant. Jusqu'à ce que, dans l'ambiance, nous installions nos extincteurs : pour que ça ne brûle pas et, en réduisant ainsi en cendres l'argument du péril imminent, pour que le moteur de la pelleteuse demeure froid.
Vendredi, nous recevions une lettre du Préfet. Chaleureuse somme toute. Il s'agissait de nous dire combien notre participation au travail de médiation était "important à conduire au profit de toutes les familles", et "plus particulièrement celles susceptibles de participer aux chantiers d'insertion". Nous pouvions ainsi apprécier qu'il était bien question, aux yeux de chacun, d'accompagner "toutes les familles". Nous pouvions ainsi apprécier le pluriel des "chantiers", et l'évocation de multiples réponses à venir. Cette lettre tombait à pic, alors que nous programmions deux jours plus tôt, lors d'un énième apéropérou, la mise en oeuvre d'un travail crucial : concevoir, pour chacun des adultes du bidonville, un curriculum vitae, riche de textes, d'images, de dessins témoignant de savoir, savoir-faire, compétences, désirs, plaisirs. Ainsi nous promettions-nous de créer un outil pour accompagner chacun aussi loin que notre action doit porter : au delà, bien au delà, de la boue et du parfum rance qui enveloppe un bidonville encroûté ; au delà, bien au delà, de ce qui n'a cessé d'être la perspective des familles jusque là. Le 1e mai, nous sommes-nous engagés, nous offrirons à chacun un CV extraordinaire, une ambassade de papier, un outil supplémentaire pour se présenter à, pour entrer en relation avec. Nous fêterons ainsi le travail, celui que nous faisons, celui que nous trouverons ce faisant.
En fin de journée, alors que la fraîcheur gagnait Ris-Orangis, nous nous sommes retrouvés dans une ambassade bondée pour la spectaculaire réunion du lundi soir, toujours rythmée par le punch de notre traductrice de classe internationale. Là, mêlés aux riverains, aux amis du PEROU, et aux curieux peut-être, les habitants prirent place et tinrent, haute, la parole. Le chaud et le froid ont été rapportés, discutés, travaillés. Puis, mille projets. Comme celui de Mathias Jud, artiste suisse, venu proposer d'installer un accès Internet au beau milieu du bidonville, son GLM présenté à la Gaité Lyrique en ce moment même (lire ici). Comme Cyrille Hannape, professeur d'architecture à l'école de Rennes, venu présenter les premières esquisses des projets que les étudiants viendront mettre en oeuvre la troisième semaine d'avril : un atelier de construction ; un lavoir augmenté de deux douches (voir l'image jointe). Il a aussi été question de la collaboration avec les compagnons d'Emmaüs, formidables d'opiniâtreté à nous accompagner, des cours de français en train de se développer au bidonville entier avec un nouveau créneau le samedi matin, des dons de dictionnaires par la MJC, des collaborations à venir avec Didier Galas bientôt en résidence au Théâtre de l'Agora, Scène Nationale d'Evry, et du formidable livre de Aude Tincelin et Jean-François Joly dont la sortie est programmée le 13 avril. Ce jour là, nous fêterons le printemps, dans la douceur retrouvée.
Construire au temps des dérèglements. Hypersituation. Ecole Supérieure Nationale d'Architecture de Rennes Pour le PEROU à Ris-Orangis |
La soirée de l'Ambassade |
Un ambassadeur en fin de soirée |
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