dimanche 10 mars 2013

Debout

Vigneux-sur-Seine s'étend entre la Seine et la forêt de Sénart, à une dizaine de kilomètres au nord de Ris-Orangis. Quelques châteaux, quelques Grands Ensembles (dont la fameuse Croix Blanche), et un bidonville occupé par près de 400 personnes qui, le 28 janvier dernier, a défrayé la chronique. En dépit d'un "état d'insalubrité innommable" jure la journaliste qui couvre alors l'événement, Nicolas Dupont-Aignan député "Debout la République", a fait jusque là le déplacement pour pointer de son doigt souverainiste "le fruit de la bonne conscience et de la fausse générosité". Historien devant l'Eternel, le député de conclure : "C'est le retour au Moyen-Age".

Son hôte, le Maire UMP de Vigneux-sur-Seine Serge Poinsot, acquiesce face caméra, emmitouflé et grimaçant. La Communauté d'Agglomération Sénart Val-de-Seine, propriétaire des lieux, avait obtenu du Tribunal de Grande Instance d'Evry une ordonnance d'expulsion datée du 5 octobre 2012. Trois mois devaient s'écouler avant la totale évacuation des lieux, avait assorti de sa décision le juge, ceci pour permettre de "trouver une solution de relogement" comme ils disent. S'alarmant bruyamment de la non exécution de cet arrêté par le Préfet, le Maire s'épanche : "Les gens veulent se réunir, comme à Marseille, en petite milice, pour faire le ménage eux-mêmes. Donc on essaie quand même, le député et moi-même, de calmer le jeu pour éviter ce genre de choses".

Avant que l'on ait le temps de se demander en quoi cette mise en scène contribue, ou non, à cette si noble ambition de calmer les esprits, le Maire de s'exclamer : "Le Préfet, que fait-il ?". Voilà qui s'entend bien : le laxisme en plus haut lieu, ce lâché prise par l'Etat, laisse revenir à nous les vagues moyen-âgeuses, la boue et les larcins, les excréments et la violence. Face à l'abandon, abandonné lui-même, le bon peuple d'ici bas entend bien se ressaisir et, à grands coups de fermeté retrouvée, faire place nette à la moderne dignité, hygiénique à souhait. (Avec les images, c'est ici)

En novembre 2012, le Maire de Vigneux-Sur-Seine, alors seul dans ses bureaux, avait offert un autre fond de sa pensée à un journaliste de Téléssonne (voir ici). "Imaginez 400 latrines" s'indignait-il pour désigner l'objet de son couroux, avant d'exposer à la caméra une pétition que de son propre chef il venait d'adresser au Préfet, pétition titrée : "Vigneux n'est pas une décharge !". Serge Poinsot de menacer alors : "L'Etat a intérêt à prendre ses dispositions rapidement, parce que sinon moi je vais en prendre d'autres, et je vais laisser faire comme à Marseille, les riverains se débrouilleront, je les aiderai aussi, à virer les Roms".
Voilà qui s'entend mieux : ça n'est pas un ressaisissement qui conduit le bon peuple à "virer les Roms", mais son propre relâchement, le "laisser faire" du premier magistrat ne rechignant pas à l'idée de s'y laisser aller, la débrouille et le sauve-qui-peut, la République plus bas que terre, dans la fange et la boue. L'irresponsabilité fière d'elle-même, l'abandon de tout. Sans doute quelque chose comme "le Moyen-Âge" selon la vision que peut en avoir l'atterrant député Dupont-Aignan.

Demain lundi 12 mars à l'aube, les forces de l'ordre de cette République là, en état d'ivresse, assaillie de vertiges, vont effectivement "virer les Roms" de Vigneux-sur-Seine. Telle est l'information donnée aux habitants la semaine dernière. Les femmes enceintes et celles avec des enfants de moins de 3 ans, responsabilité du Conseil Général au titre de "l'Aide Sociale à l'Enfance", trouveront demain soir un hébergement. Leurs conjoints, comme le restant de cette foule jetée sur le chemin boueux d'en face, devront trouver une solution par leurs propres moyens, "par le numéro d'appel d'urgence le 115", suggère-t-on dans les administrations concernées qui feignent d'y croire. Certes, les personnes en grande vulnérabilité médicale bénéficieront d'un hébergement d'une semaine à 10 jours, "au cas par cas". Parce que la débandade politique érigée en morale de gouvernement sait se parer de formules singeant la responsabilité, et complètement avachie, étalée de tout son long, la République croit apparaître ainsi en position debout. La farce vaut cher : on déploiera d'innombrables CRS pour faire peur ; une belle pelleteuse pleine de vacarme pour tout anéantir ; un gros charter pour reconduire la moitié de ces personnes en Roumanie où, selon le Ministre de l'Intérieur, elles ont "vocation" à rester ; des chambres en hôtels dits "sociaux" à 2500 euros / mois pour quelques autres "privilégiées"; et du désastre à la pelle que les services sanitaires et sociaux alentours devront traiter dans l'urgence. Effondrée, la République coûte un bras au contribuable. Cerise sur le gâteau avarié, déposée par l'inénarrable Serge Poinsot lors de son entretien avec le journaliste de Telessonne : il faudra plus de 100 000 euros pour remettre le terrain en état. Et en matière de gros sous, le premier magistrat en connaît un rayon selon quelques enquêtes publiées par Médiapart ces derniers temps... (lire entre autres ici, l'article publié le 8 mars et titré : "Corruption en Essonne : un maire UMP et le groupe Icade soupçonnés" avec, en médaillon, l'image de ce Serge Poinsot)

A 10 km de ce spectacle d'un "Etat d'insalubrité innommable", avec un "E" majuscule, nous poursuivrons demain notre ouvrage, minutieux et titanesque, "responsable" ô combien : puisque les rats menaçaient, nous avons lancé une campagne de dératisation mercredi et chaque semaine pendant un mois, reviendront les équipes pour faire effectivement "place nette" ; puisque les latrines débordaient ici comme ailleurs, nous avons lancé notre chantier de toilettes sèches en janvier et le reprenons les jours prochains jusqu'à jalonner le terrain d'une trentaine de "dents en or", l'équivalent d'un dentier à quelques unités près ; puisque le feu menace, nous finalisons mardi et mercredi la mise à plat du circuit électrique, le raccordement d'un deuxième groupe électrogène offert par le rabbin de Ris-Orangis, la mise en étanchéité des prises et des raccordements, et l'installation de trois extincteurs dans le bidonville ; puisque l'eau manque, et que les personnes traversent encore quotidiennement la Nationale 7 pour s'approvisionner, nous mettons en place avec le soutien de la Croix Rouge un ravitaillement du bidonville dans les jours prochains.
Puisque l'abandon est généralisé, nous nous efforçons de rester debout, de marcher ensemble, de danser souverainement, et d'inventer à partir d'ici un ailleurs sans commune mesure avec ce qu'à Vigneux-sur-Seine demain on va offrir aux familles : l'inhabitable. Puisque le pire ne cesse d'être envisagé, nous nous efforçons de résister à ce pire en créant du meilleur, et de contaminer par la joie ce qui alentour s'expose dévasté, ce que souligne Michel Butel dans l'édito du numéro 11 de L'Impossible, aujourd'hui en kiosques, en souhaitant que "grâce" nous soit rendue "d'avoir inventé un pays libre au coeur d'un pays enchaîné, d'avoir ajouté le Pérou sur la carte de la France, d'avoir invité la joie à Ris-Orangis, la joie, la vie de notre monde". C'est que la joie s'y trouve bel et bien, au fond des yeux de ces femmes et de ces hommes debout.



Deux parmi les 10 toilettes sèches installées sur le terrain
dites "dents en or" pour faire couleur locale.






Mise à plat du circuit électrique
Chantier coordonné par Charlotte Cauwer



1 commentaire:

  1. Bravo pour ce courage et cette ténacité, cette endurance dans l'adversité. Je pense que vous avez raison. L'énergie qui vous anime est la force de la vie, c'est elle qui j'espère va vous faire triompher, ou en tout cas, donner une belle leçon de courage à tous.
    A.Camus a dit : "Qu'est-ce que l'homme ? C'est cette énergie qui finit toujours par balancer les tyrans et les Dieux"
    Encore bravo
    Jeanne Studer

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