dimanche 29 juin 2014

Lettre au Préfet de l'Essonne








A l’attention de Monsieur  Bernard Schmeltz
Préfet de l’Essonne
Boulevard de France
91000 Evry

Grigny, le  28 juin 2014




Monsieur le Préfet de l’Essonne, 



Nous vous écrivons du beau milieu du bidonville de la Folie situé sur le territoire de la commune de Grigny. Nous vous écrivons du beau milieu d’une action du PEROU qui, soutenue par le PUCA, le CAUE de l’Essonne et la Fondation Abbé Pierre, consiste à transformer le présent de ce bidonville afin qu’un avenir autre se dessine enfin pour les familles y ayant trouvé refuge. Nous vous écrivons du beau milieu d’un travail mobilisant au quotidien nombre de riverains, d’étudiants d’écoles d’art et d’architecture françaises comme européennes, de chercheurs de Sciences Po, de personnalités du monde de l’art, de l’architecture, et des sciences sociales. Nous vous écrivons du beau milieu d’un lieu de vie et d’espoir qu’à la demande du Maire de Grigny vous envisagez de très prochainement détruire.  Nous vous écrivons du beau milieu d’un élan peu commun que, d’ici une dizaine de jours, vous envisagez de briser. 

En mobilisant forces de l’ordre et pelleteuses contre le bidonville de la Folie, vous activerez la destruction de ce que les textes nomment un «campement illégal». Ce faisant, vous détruirez bien davantage qu’un amas de baraquements. Vous détruirez un processus d’insertion extraordinaire : depuis un an et demi que nous oeuvrons aux côtés de ces familles, d’abord à Ris-Orangis puis à Grigny, 27 adultes ont signé un contrat de travail, dont 12 aujourd’hui inscrits dans un parcours d’insertion à Ris-Orangis. Vous détruirez l’espoir conquis par nombre d’autres adultes de suivre ces premiers exemples :  80 personnes sont aujourd’hui domiciliées, 50 inscrites à Pôle Emploi, 21 en cours de Français, et 9 ont reçu la semaine dernière une promesse d’embauche qui devrait se concrétiser au mois d’août. Vous détruirez les histoires que la cinquantaine d’enfants scolarisés ont aujourd’hui tissées avec leurs camarades de classe, et casserez l’accompagnement réalisé par le PEROU notamment à travers la conception d’un imagier trilingue qui, tiré à 1 500 exemplaire, doit être offert aux écoles où se trouvent aujourd’hui ces enfants. Vous détruirez les liens tissés entre ces réfugiés européens et leurs voisins, notamment concrétisés par la constitution d’une association (l’Association de la Folie en Essonne) visant non seulement à aider ces familles réunies à sortir du bidonville par le haut, mais également à transmettre l’expérience acquise durant cette année et demie d’action collective aux acteurs, institutionnels comme associatifs, confrontés à de telles situations en Essonne. Vous détruirez ce que collectivement nous avons construit, et contribuerez ainsi à faire se pérenniser le bidonville dans sa réalité la plus désolée, la plus désolante : dans un mois ou deux, ces familles chassées de Grigny par les pelleteuses se seront réfugiées dans de nouveaux bidonvilles en Essonne, et de nouveaux maires vous demanderont de répéter ce geste insensé, cette politique de déroute. Vous détruirez l’idée que nous nous faisons de la République qui est la nôtre à la lecture de ses textes les plus fondamentaux : qu’elle est humaine, solidaire, constructive, audacieuse, et qu’elle porte ainsi tous les espoirs d’un avenir paisible que partagent avec nous les familles du bidonville de la Folie. 

En mobilisant forces de l’ordre et pelleteuses contre le bidonville de la Folie dans les jours prochains, vous agirez au mépris de la lettre comme de l’esprit de la circulaire du 26 août 2012. La rue, l’errance, les hôtels sociaux délabrés et disséminés en Île-de-France, la détresse en un mot : voici ce que vous offrirez en guise de «réponse adaptée», de «solution alternative», ou de dispositif de «stabilisation transitoire», termes désignant dans le texte le contenu de l’action publique qu’il vous faut mettre en oeuvre. Pourtant, vous le savez, des réponses existent. A quelques centaines de mètres du bidonville de la Folie, la «base de vie» de Ris-Orangis que nous avions contribué à faire sortir de terre demeure aujourd’hui aux deux-tiers inoccupée, 6 familles l’ayant déjà quittée pour rejoindre un logement social. Comment pouvez-vous refuser que ces places d’hébergement aujourd’hui vacantes soient mobilisées pour 6 nouvelles familles ? Dans le bidonville lui-même, des équipes d’architectes du PEROU en collaboration avec Habitats Solidaires par exemple travaillent avec les familles à l’esquisse de projets innovants, peu coûteux, inscrits dans la ville et susceptibles de faire s’accélérer ainsi les processus d’insertion. Comment pouvez-vous mépriser ce travail, soutenu par un organisme interministériel, alors que le texte vous demande de «veiller (...) à associer étroitement (...) les associations susceptibles d’apporter un concours de toute nature dans l’accompagnement des personnes» ? Comment pouvez-vous engager des sommes extraordinaires (nous avons chiffré le coût de l’expulsion du bidonville de Ris-Orangis à 328 965 euros) pour détruire les lieux comme les processus ici engagés, alors qu’avec ces mêmes sommes, complétées par de nombreux financements européens disponibles, vous pourriez mettre en oeuvre une politique enfin exemplaire en Essonne ? 

La violence qui se prépare, sous la responsabilité du Maire de Grigny et avec votre concours, est au regard de la situation du bidonville de la Folie absolument incompréhensible, d’autant moins qu’aucune urgence ne s’impose aujourd’hui : depuis des mois, vous le savez, nous n’avons cessé d’oeuvrer à la stabilisation sanitaire de ces lieux, ayant mis le site hors boue, évacué des tonnes de déchets, installé une vingtaine d’extincteurs, consolidé les baraques, installé des plaques d’aération dans celles-ci, etc. Par la présente, nous vous demandons donc aussi solennellement que cela puisse s’entendre de sursoir à cette expulsion, de nous recevoir aussitôt que possible en compagnie de l’Association de la Folie en Essonne et des représentants des institutions qui nous accompagnent. Alors, nous vous demanderons de bien vouloir suivre le principe élémentaire de la circulaire du 26 août selon lequel une expulsion «s’anticipe», et d’accepter alors notre concours afin que cette anticipation ait effectivement lieu jusqu’à faire se concrétiser les perspectives qu’avec les familles nous avons esquissées, perspectives extraordinaires que le Maire de Grigny et vous-même ne pouvez pas, sur le territoire de la République qui est la nôtre, anéantir. 

Dans l’attente de vous rencontrer, nous vous prions de bien vouloir recevoir, Monsieur le Préfet, l’expression de nos sentiments les plus Républicains. 


Sébastien Thiéry, pour l’association PEROU. 



Copie de cette lettre adressée à : 

- Monsieur Philippe Rio, Maire de Grigny ; 
- Monsieur Jérôme Guedj, Président du Conseil Général de l’Essonne ; 
- Monsieur Malek Boutih, Député de la 10e circonscription de l’Essonne ; 
- Monsieur Jérôme Normand, Sous-Préfet d’Île-de-France ; 
- Monsieur Alain Régnier, Délégué Interministériel à l’Habitat et l’Accès au Logement. 



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