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Lundi de Pâques, placardé à l'entrée : l'arrêté pour "péril
imminent", si bancal, si infondé, qu'il témoigne combien
le péril imminent est du côté de ses auteurs, qu'il
conviendra d'expulser.
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Malgré l'arrêté, malgré le péril, le petit jardin donnant
sur la Nationale, pour rappeler au passant que nous ne
sommes pas des rats.
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Journée de Pâques, sous la gouverne de JF : atelier sculpture
et peinture pour les gosses, entre deux oeufs en chocolat.
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Sur la "place des fêtes" comme l'arrêté la nomme, ce qui
nous permet de comprendre que l'invraisemblable auteur
qui a composé ce texte a paradoxalement le mot "fête"
dans son vocabulaire.
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Les sculptures, dressées sur le jardin, pour insister auprès
du passant : les bras ouverts, nous pouvons même
t'accueillir.
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Mardi jour de fête, puisque veille de désastre. "Etre ici",
affirme l'Ambassade, "Vivre maintenant", insiste-t-elle.
Démonstration n'a cessé d'être faite de cette vitalité et
de cette joie qui firent manifestation politique bien plus
puissamment qu'on ne le soupçonne.
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Jour de préparatif aussi, puisqu'on nous
accule au départ et qu'on ira ailleurs s'établir
fatalement, joyeusement. Le camion de la
communauté d'Emmaüs a prêté main forte,
ô combien nécessairement : sur place, nous
n'aurons rien laissé de précieux sous les griffes
des engins.
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La dernière nuit, blanche mais sombre, auprès
de plusieurs feux allumés. Calme, chaleur,
douceur, non loin de la torpeur peut-être.
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Les bancs de la Place des fêtes ont fini en feux de joie,
nous rendant toute la chaleur qu'ils avaient emmagasinée lors
de cette incroyable journée où Israël Galvan était venue
l'inaugurer.
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Au petit matin, les riverains nous ont rejoints : tant et si bien
qu'à 7h du matin, nous sommes une centaine. Les professeurs
du collège voisin nous ont également rejoints. Ils accueillent
aujourd'hui 4 élèves du bidonville. Demain, nul ne sait où
ces élèves se retrouveront.
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La dernière lueur, la dernière image de l'Ambassade.
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Le déploiement : la Nationale coupée, des engins à n'en plus
finir, des troupes innombrables : le théâtre d'une opération
anti-terroriste, alors qu'à l'intérieur c'est le petit Dolari qui
mène la danse.
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10 cars de CRS, soit près de 150 hommes, 3 grues, deux
camions de pompiers, une ambulance, des officiels,
des techniciens, des employés. Une gabegie financière. Nous
n'avons pas les moyens d'expulser toute la misère du monde.
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Par devant, par derrière, un encerclement. L'armée de CRS qui,
le pas nerveux, traverse le bidonville et fait étape tous les
dix mètres. Puis reprend, nous pousse vers la sortie, puis
s'arrête, se resserre, puis reprend.
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Vidés, les lieux sont "sécurisés". Dehors, les familles sont
effectivement en insécurité, ce que l'on se garde bien de
raconter. D'ailleurs, si elles étaient mieux hors le bidonville,
et donc si la circulaire était pleinement appliquée, il y aurait
nul besoin de cet arsenal pour "évacuer" comme ils disent. Une
démonstration de force de l'ampleur de l'impuissance qu'elle
souhaiterait masquer. Cette action publique est une pure défaite.
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Les pelleteuses, organisées : la première casse, aplatit, réduit
en miette. Elle défonce des lieux de vie, chose qui n'arrive
qu'en temps de guerre. Ici, une subtilité : on écrase l'habitat
pour le bien des personnes qui y ont trouvé refuge. Dans
l'histoire de l'humanité, telle manoeuvre est sans doute
inédite. L'humanité touche le fond, sous nos yeux, sous notre
responsabilité.
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La seconde soutient la première, et défait tout ce qu'elle
rencontre. Elle rassemble également les miettes,
fait des paquets, amalgames les souvenirs, mélange à la
poussière. Elle écrase notre histoire.
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La troisième avance parallèlement à la seconde. En trois
coups de gifle, elle anéantit l'Ambassade dans un fracas
incroyable. Elle donne un dernier coup sur un pan de mur
resté droit où est écrit "vivre maintenant". Puis elle roule
tranquillement sur toute la longueur de l'édifice à terre,
elle finit le travail.
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Le jour s'est levé, le bidonville s'est effondré. Alors débute
l'épreuve pour les familles. Les 38 personnes sélectionnées dans
le parcours d'insertion sont placées dans des hôtels sociaux qui, sur
parole du préfet la veille, devaient se trouver à proximité de Ris et
des écoles. Quatre destinations sont données : Aubervilliers,
Nanterre, La Courneuve, Saint-Gratien. Rien à moins
de 30 kilomètres.
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Les 50 personnes comptant des personnes vulnérables (familles
avec enfants de moins de 3 ans, femmes enceintes, personnes
malades, parmi lesquelles les deux soeurs lourdement handicapées
de Roméo donc) sont placées en hôtels sociaux par le Conseil
Général. Les nuitées sont comptées : elles sont pour la plupart
promises à retrouver la rue le 15 avril. La vulnérabilité est à venir.
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Les autres personnes sont perdues, dans la nature, dans un autre
bidonville, ou à la MJC où elles passent la première nuit.
Ici, 7 familles hagardes resteront, puis rejoindront le lendemain
un hôtel payé par les associations à Ris-Orangis. Aucune
solution n'est prévue au delà de lundi pour celles-ci. Cerise
sur le gâteau écoeurant : de nombreux hôtels dits sociaux que
connaissent les autres familles plus "chanceuses" sont insalubres,
comme à Saint-Gratien ou Aubervilliers. C'est la panique.
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La fête est loin, l'amertume terrible, la détresse à venir.
Tout est à reprendre, recommencer. Parce que l'absurdité est
là : dans quelques semaines, une nouvelle place se
construira, à deux pas de là, à Ris-Orangis encore peut-être.
Et l'invraisemblable se reproduira ?
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On le comprendra peut-être enfin un jour : détruire, c'est faire
se pérenniser le bidonville dans sa version la plus
terrible, parce que reclus au fond d'un nouveau terrain,
en lisière d'une ville qui lui tournera de nouveau le dos. Détruire,
c'est faire se fixer le bidonville, 200 mètres plus loin certes.
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L'espace est vacant, alors que de l'autre côté, les personnes
cherchent un espace. L'absurdité des temps présents : créer
du vide, par le nettoyage obsessionnel, transfigurer le territoire en espace
mort, pour ne pas laisser s'installer une famille qui chercherait refuge.
Les pelleteuses construisent l'inhabitable, nous sommes
collectivement devenus des fous furieux.
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Des traces de vie demeurent là, sous nos pieds, dans nos
têtes.
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Ce qui ne cesse de taper dans nos têtes, l'enfance piétinée,
ces gosses avec lesquels nous avons joué des mois durant,
aujourd'hui abasourdis dans la chambre d'un hôtel sans nom.
Depuis aujourd'hui, Dolari est recouvert de boutons, et son
frère Ricardo ne cesse de se gratter. Le péril sanitaire est ce qui
leur est promis comme "solution".
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Quid de l'insertion ? Les enfants sont arrachés à l'école,
en pleine année scolaire, et dispersés aux quatre coins de
l'Île de France. Tout ceci au nom de la circulaire du 26 août
qui exige que les personnes se stabilisent pour s'insérer enfin.
Non seulement la circulaire n'est pas appliquée, mais le sens du
texte est détricoté. Tout est absurde, au nom de la loi.
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Ils jouent avec des vies, sans comprendre qu'ils jouent avec
la leur : ces enfants sont français, ils vivront là, ils
rencontreront demain les enfants de ces CRS, de ces
responsables politiques, de ces fous furieux. Comment,
durant ces rencontres à venir, les gosses de ces bidonvilles
piétinés contiendront-ils leur douleur refoulée ?
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Fin de l'épisode. Vendredi 5 avril, 18h.
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PS : Un autre récit photographique des derniers jours de l'Ambassade à trouver
ici.
PS 2 : Un autre récit en mots écrits par Valérie de Saint-Do sur Médiapart, à ire
ici.
Comment se nomme le préfet qui tient si scrupuleusement ses promesses ?
RépondreSupprimerGuérin
Face à l'indigne, il y a la dignité de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants.
RépondreSupprimerLes Roms doivent venir en France, la police doit faire son travail et les journalistes en parlent. Il n'y a rien d'anormal vue d'ici !
RépondreSupprimerMais un grand bravo pour ceux qui ont le courage de s'impliquer dans une cause qui parait injuste mais pour laquelle ils se dévouent à la faire changer sans autre motivation.
Plus qu'un commentaire: Une question:
RépondreSupprimerL'association Perou a présenté ses initiatives à ris Orangis comme une sorte d'expérimentation sociale nouvelle afin de sortir du cycle infernal des expulsions en cascade...
Cette expérimentation sociale a consisté, si j'ai bien compris, à tenter de rendre la vie du bidonville moins invivable et a tisser des liens avec la population locale.
Pourtant la destruction a eu lieu et ces efforts n'ont pas abouti.
J'aimerai savoir quelles conclusions les animateurs de Perou tirent de cette expérience.
Qu'il y a-t-il à garder, qu'il y a-t-il à changer pour les autres -actuels et futurs- bidonville ?
Par delà la colère, par delà l'ironie, n'y a-t-il pas place à la réflexion constructive pour aboutir enfin au "plus jamais cela" ?