Jusque là, nous avons été sages, et d'une courtoisie à toute épreuve à l'égard de chacun de nos interlocuteurs publics. D'abord des lettres, ensuite des coups de fil, parfois des premières rencontres avec des directeurs de cabinet ou des conseillers techniques, puis enfin des rendez-vous avec les instances politiques. Le chemin, somme toute laborieux, nous a finalement conduits jusque devant les principaux responsables concernés ce dernier mois : Maire, Député, Président du Conseil Général. Le Préfet, enfin, nous a accueillis mardi dernier à 15h30.
A chacun de nos échanges, à de rares exceptions près, nous avons pu noter une volonté manifeste de ces acteurs publics de construire des réponses inscrites dans le droit fil de la loi, c'est à dire durables et respectueuses de chacune des personnes habitant le bidonville de la Place de l'Ambassade. A chacun de nos échanges, à aucune exception près, nous avons pu prendre acte de leur volonté de coopérer avec le PEROU, de suivre la perspective expérimentale qui est la sienne. Ainsi pouvait-on valider quelques-unes de nos hypothèses méthodologiques : construire hors norme, pour faire respecter la loi ; prendre soin des espaces, pour renouveler l'art de prendre soin des hommes ; prendre littéralement position, ici et maintenant, pour créer un rapport de force favorable à l'avenir des personnes ; ringardiser les calculs partisans pour contribuer à ce que s'élabore politiquement la question. Ainsi pouvait-on croire faire sortir de l'absurde la politique conduite à l'endroit des bidonvilles, et tracer quelques pistes de nouvelles réponses, enfin respectueuses des hommes.
En un sens, depuis le premier coup de pioche et le premier rat assassiné, nous avons progressé : la tradition de l'expulsion manu militari sans aucune autre forme de procès n'aura pas été respectée à Ris-Orangis. En un autre sens, le progrès demeure d'une ampleur tout à fait relative : cinq mois plus tard, nous demeurons flanqués sur un terrain sur lequel aucun des responsables sus évoqués ne daigne apporter l'eau, l'électricité, le service de ramassage des ordures ; cinq mois plus tard, nous demeurons flanqués dans une situation pourrie par la menace toujours reconduite d'une expulsion imminente ; cinq mois plus tard, nous demeurons flanqués dans un contexte d'urgence, de violence et de mépris à partir duquel aucune perspective durable ne peut sérieusement être envisagée. Alors, le verbatim de chacun des échanges conduits avec les acteurs publics sera prochainement produit ici, pour cartographier les positions de chacun, pour comprendre peut-être pourquoi nous en sommes toujours là, et pour revoir sans doute enfin notre définition de la sagesse : à un certain moment, il est sage de ne plus le rester.
En attendant, sur le terrain, rien ne dévie de sa course pragmatique : répondre point par point aux dangers censés pouvoir justifier l'expulsion souhaitée imminente par le Maire, et mettre en oeuvre la dératisation du terrain, l'installation d'un point d'eau, la mise en étanchéité du circuit électrique, la sécurisation des poêles à bois et des conduits d'évacuation des gaz. En attendant, sur le terrain, tout concourt à ce que s'étoffe l'humanité qui fait lieu : l'école des femmes s'est merveilleusement passée hier ; le Rabbin Michel Serfaty est venu dans le même temps nous prêter main forte et faire don d'un groupe électrogène au bidonville ; Intermèdes Robinson a, dans un joyeux tumulte, inauguré sa résidence à l'Ambassade ce matin ; un riverain d'un âge certain s'est présenté dans le même temps en pleurs, évoquant la déportation, l'exode, sa mère méprisée, et affichant sa détermination à nous accompagner pour ne pas voir, sous ses yeux, de telles histoires se reproduire.
Jusque là, nous, cet homme là, les innombrables personnes qui nous témoignent par leurs actes ou leurs mots un soutien crucial, sommes restés sages. Obsédés par l'idée qu'il nous faut construire, nous nous sommes épargnés de dépenser notre énergie ailleurs. Car ce qui, du côté des forces politiques en présence, nuit à cette humanité qui a lieu ne mérite pas qu'on lui consacre le moindre temps, la moindre de nos forces. Jusque là, tout au moins.
L'Ambassade investie par Intermèdes Robinson ou l'art de "l'Asile poétique" |
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