De la boue par centaines de litres, indécrottable, impraticable, invraisemblable. Et, à la lisière du bidonville, à l'endroit où les aménagements urbains ont lieu, réapparaît sous les traits de ces Roms la figure du bouseux. Des parents préfèrent ne pas conduire leurs enfants à l'école, de peur qu'en plus de "sentir le sale", ils aient honte de leurs pieds crottés devant leurs camarades de la ville. Roméo ne sort plus sa fille, lourdement handicapée, qui reste cloîtrée dans sa baraque et, la nuit, pleure à tout rompre. La boue, transpiration de la ville, vomi de ses bordures, recouvre les lieux où la civilisation ne s'aventure pas. Cette semaine nous devons la recouvrir d'un tapis de copeaux de bois, ou d'une autre texture étanche. Pour enfin regagner le sol, et y faire courir les gosses.
Ris-Orangis, 10 décembre 2012 |
Un bourbier, au sens figuré.
Aujourd'hui, le tapis de boue fut copieusement piétiné. D'abord, par nous-même, Yvette Le Garff, riveraine dont l'enthousiasme est à lui seul un appel à la mobilisation, Didier Galas, comédien qui donnera un Arlequin pour les enfants le 22 décembre, et Camille Polloni, journaliste de Rue 89 venue enquêter sur le porte monnaie d'un Rom pour, sait-on jamais, couper la tête à quelques légendes urbaines narrant le Rom fortuné, voleur, profiteur.
Ensuite, aux alentours de 15h, par une patrouille de la police nationale venue "compter les baraques". Leur verdict : 57. Ils sont repartis aussi sec, oubliant étrangement le contrôle général d'identités qu'ils menaçaient bruyamment de faire... avant de nous voir apparaître au bout du chemin.
Une petite heure plus tard s'est précipitée là une délégation de la police municipale alertée par une fumée âcre s'échappant des lieux : emportés par l'enthousiasme du nettoyage de samedi, les familles avaient décidé de brûler les amoncellements de déchets, intoxicant les alentours. La mâchoire serrée, pour faire peur, l'un d'eux menaçait d'appeler les pompiers. Un autre était d'une gentillesse désarmante, portant l'uniforme d'une manière si douce qu'il aurait pu faire naître une nouvelle vocation chez n'importe lequel d'entre nous. Malgré cette présence ô combien bienveillante, les pompiers furent gravement mobilisés en renfort pour éteindre un feu de broussailles mélangées à quelques sacs plastic.
Troisième convoi de bottes donc, encasquées celles-ci, faisant sautiller de toutes parts des enfants aussi fascinés par le fireman que peut l'être n'importe quel enfant tout propre. En quelques minutes de vacarme, la fumée blanche des sauveteurs avait effacé celle, noire, des malpropres.
Il était 16h30 peut-être lorsque ce défilé digne d'un 14 juillet s'augmentait d'une délégation politique : un élu à la sécurité, la lunette pointée sur le rat affolé, l'oeil rivé sur le déchet calciné ; le directeur de cabinet du Maire pour clore le tout, demeuré prudemment à l'entrée, avant que la boue ne menace. Mais voilà que le dialogue fut tout à fait cordial, à distance sérieuse des clichés colportant la férocité d'une classe politique locale à l'égard de tout ce qui ressemble, et se rapproche, d'un Rom. Christian Richomme donc, ce dir cab presque affable, a aisément convenu qu'il n'y avait pas de fumée sans feu, ni de feu sans impasse sanitaire, et que la mobilisation d'escadrons de pompiers pouvait être évitée si la communauté de communes mettait à disposition des familles une benne à ordure, ou quelque autre système de ramassage que ce soit. D'ajouter que, dans l'élan, il allait s'en entretenir avec le Maire.
Ris-Orangis, Photo Samuel Garcia |
La nuit s'est déposée là, assez froide pour figer quelque peu la boue, et suffisamment dense pour faire entrer la tribu d'enfants dans les baraques calfeutrées. Enveloppant l'assemblée constituée de ces 57 baraques, elle n'a néanmoins pas chassé deux sentiments contradictoires, un brin contrariants, nourris par la journée passée. D'une part, la crainte que la machine s'emballe au motif du "péril sanitaire" (voir la missive précédente), et que le piétinement s'augmente du tumulte de la pelleteuse, tant et si bien que les chambres des gosses finissent de nouveau broyées, et quelques-uns de leurs rêves avec. D'autre part, la certitude que cette classe politique là, en dépit des apparences de ses souliers vernis, patauge dans un bourbier dont elle ne peut que souhaiter s'arracher. Ce Christian Richomme sait parfaitement que détruire ne résout rien, comme ce policier aimable honorant si dignement sa mission de gardien de la paix. Et pourtant, tout concourt à ce que l'issue soit terrible et absurde, et à ce que, aveuglément, l'on poursuive le pire.
Le PEROU se veut un appareil diplomatique, un outil de recomposition du sens commun, un frein à l'escalade tout au moins. Les parties s'affrontent aujourd'hui encore de manière stérile, s'enfermant l'une l'autre dans quelques pauvres caricatures. L'intrigue se reproduit lamentablement à coups de violence et contre violence, comme si le dramaturge avait abandonné l'idée que du sens puisse enfin être livré. Dans ce contexte politique dévasté, venir de loin a son mérite : un étranger s'installe là, au beau milieu d'un dialogue usé, et impose qu'une autre langue soit parlée. C'est ainsi que se conçoit la diplomatie, la plus élémentaire qui soit. C'est ainsi que se conçoit la fonction de l'ambassade du PEROU. Qui s'édifiera ici dans quelques jours, puisque chacun en a l'intérêt, puisque chacun souhaite évidemment sortir de ce bourbier.
Ris-Orangis, Photo Joana Zimmermann |
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