Le jeudi 22 novembre à 14h, Adéla avait rendez-vous avec une assistante sociale du département. L'entretien fut bref, une dizaine de minutes tout au plus. Il n'en fallait pas davantage pour lui apprendre que dans moins de 24 heures, le vendredi 23 à midi exactement, il fallait qu'elle, ses trois enfants et son mari aient quitté l'hôtel social qu'ils occupaient depuis dix mois à Morsang-sur-Orge.
Le jour-même à 15h, Adéla m'a appelé. Sa voix serrée, ses mots incertains : tout trahissait l'effort inhumain qu'elle déployait pour retenir ses larmes, et me cacher sa détresse. Elle tenait ferme la rampe de sa "dignité", comme ils disent tous. Elle voulait parler un peu, évacuer, rire si possible. Elle souhaitait également trouver un moyen pour transporter les affaires de sa petite famille jusque dans le bidonville de Ris-Orangis où étaient installés quelques uns de ses cousins. Pour y trouver refuge.
Après un premier rire, Adéla eut, pour faire bonne mesure, un premier accès de colère : l'hôtel avait coûté 2 500 euros mensuels. Le contribuable français avait donc déboursé 25 000 euros pour si peu, pour un retour à la case départ. Dans l'élan, une seconde colère : l'assistante sociale, diligentée par le département, avait justifié la décision de cette expulsion pour cause de "non évolution de leur situation". George, son mari, n'avait cessé de vendre ses journaux "Sans-abri" dans les rues parisiennes ces dix derniers mois. L'assistante sociale voyait juste : il n'avait pas constaté d'explosion de ses ventes, et n'avait donc pas investi dans la pierre entre temps. Adéla avait prêté main forte et tendu le bras à la sortie de quelques métros parisiens, mais ses recettes n'avaient jamais laissé augurer, depuis fort longtemps d'ailleurs, une quelconque "évolution de sa situation". L'assistante avait l'oeil, mais avait-elle la mémoire ? Se souvenait-elle que, Roumains, George et Adéla ne pouvait accéder au marché de l'emploi comme n'importe quel européen lambda ? En jetant cette phrase à la figure d'Adéla, faisait-elle seulement preuve d'un cynisme monstrueux, ou se vautrait-elle en plus dans la faute professionnelle caractérisée ?
Robert, 10 ans, Ricardo, 8 ans, et Dolari, 5 ans, vont tous les trois à l'école, à Viry-Châtillon. Ils n'ont manqué l'école que le 23 novembre, à cause du tumulte de l'expulsion de l'hôtel. Dolari est terriblement passionné par l'école, et il se prépare parfois même le dimanche pour y aller. C'est qu'il a vécu en septembre dernier sa toute première rentrée scolaire. La directrice de la maternelle a convoqué ses parents dès le mois de novembre. Stupéfaite par les progrès du gamin, elle se devait d'alerter ses parents : il est probablement très doué, peut-être surdoué. George de s'exclamer, frappant sa main contre son front : "Je veux juste que mes enfants soient normaux, comme tous les enfants français !". Ses trois gosses sont en effet étonnants de vivacité, mais aussi de gentillesse. Ricardo m'a pris par la main samedi dernier, au beau milieu de la fête, pour me traîner jusqu'à sa maîtresse qui, remarquable maîtresse, avait répondu à son invitation et s'était déplacée jusque là pour faire de Ricardo un enfant fier. C'est son immense sourire qui me l'a dit. Je crois que le regard de la maîtresse m'a raconté qu'elle était émue.
Aujourd'hui 26 décembre, avec tous les enfants du bidonville de Ris Orangis et leurs parents, Robert, Ricardo et Dolari sont allés au Louvre, accompagnés par les vaillants bénévoles de l'Association de Solidarité de l'Essonne pour les Familles Roumaines et Roms (le reportage de France Culture, dans les infos à 12'50, à écouter ici ). Aux dernières nouvelles, aucun chef d'oeuvre n'a disparu. Adéla m'a appelé ce soir. Ses enfants sont rentrés surexcités. Robert lui a demandé de retourner tous les jours au musée. Elle m'a demandé si je pensais que c'était bien normal.
Photo de classe de Dolari |
Chez Adéla, George, Robert, Ricardo et Dolari. 22 décembre 2012 |
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