dimanche 30 décembre 2012

Discrimine moi un Rom


Alain, le père d'Alex né il y a une dizaine de jours, est Roumain non Rom. Marius, dont la femme travaillait au Parlement européen de Strasbourg il y a encore deux ans, est Moldave non Rom. Alain et Marius vivent pourtant à Ris-Orangis, dans ce que l'immense majorité de nos contemporains s'aventure à nommer un "camp Rom". Que raconte telle vérité mensongère ?

Quant au "camp", il colporte dans ses bagages deux fantasmes aujourd'hui très profondément enracinés. Nommer ainsi des établissements tels que celui de Ris-Orangis permet d'inscrire dans les esprits que nous avons affaire sinon à des campeurs, tout au moins à des voyageurs. Ainsi peut s'entretenir la confusion délirante selon laquelle les personnes établies là sont nomades, permettant d'envisager par exemple, comme l'y encourage la loi SRU, que créer des aires d'accueil pour gens du voyage est une réponse à la question posée par ces établissements illicites. Le Président Sarkozy avait institué cette confusion dans son discours présidentiel du 30 juillet 2010. Chacun en a fait aujourd'hui son langage, y compris les plus hostiles à l'idéologie bas-du-front sarkozyste. Il en va ainsi d'Amnesty International qui, dans son tout dernier rapport intitulé "Chassés de toutes parts. Les expulsions forcées de Roms en Île-de-France" (lire ici), utilise l'expression "campements informels roms". Voici une expression ahurissante à divers titres, et en premier lieu en raison de l'évocation appuyée de ce nomadisme hors-sujet, certes contrebalancée par l'étrange expression "expulsions forcées" (connaît-on des expulsions non forcées ?), qui raconte que si ces populations voyagent effectivement, ça n'est pas en raison d'un goût pour le nomadisme, mais à cause d'un destin d'indésirables qui, depuis des siècles peut-être, leur a inculqué un certain savoir-fuir. Qu'on se le dise : les personnes établies à Ris-Orangis en lisière de la Nationale 7 sont des sédentaires qui, vivant dans un "bidonville", regardent la ville voisine avec le désir d'en devenir partie prenante.

Nommer "camp" un tel établissement fait se répandre en outre, l'air de rien, un poison qui fait son effet dans notre conscience politique dévastée : l'idée que ces gens là s'avèrent une véritable horde. Le "camp", en tout premier lieu peut-être, est l'établissement d'une armée élancée vers ses conquêtes. Comme par hasard, ces Roms qui ne sont que 15 à 20 000 en France sont aussitôt affublés des atours de l'envahisseur prétendument précipité jusque chez nous par le désormais légendaire "appel d'air", et s'apprêtant à tout dévaster, nos équilibres si subtils en tout premier lieu. Le Maire de Ris-Orangis peut alors, sans que le journaliste qui le cite ne tombe manifestement de sa chaise, avancer qu'intégrer les enfants Roms à l'école "déstabiliserait très fortement les communautés scolaires" (lire par exemple ici). Au coeur de cette réflexion hautement improbable, l'instabilité du nomade et la force déséquilibrante de l'envahisseur se complètent pour parfaire l'image de l'ennemi radical que ces pauvres gosses portent désormais sur leurs épaules. Instables selon la doxa, ces gens là sont par définition redoutablement dangereux.

Sédentaires, sans aucun doute. Et, si l'on s'en réfère au moins à Alain et Marius, "Roms" jusqu'à quel point ? Adèle Sutre, l'une des plus sérieuses historiennes de la question Rom insiste de temps en temps sur les brassages qui, depuis des siècles, rendent les prétendus Roms aussi bretons que le sont les amateurs de festnoz aujourd'hui. Le petit Alex par exemple, bien que cloué à cette identité là, n'a de son père aucune espèce d'héritage de cela. Mais après tout, puisqu'elle semble dangereusement contagieuse, l'identité Rom se refilera au petit habitant (croupissant ?) parmi des familles Roms dans le bidonville de Ris-Orangis. Car ainsi se réalise le tour de passe-passe contemporain : ce ne sont pas les Roms qui font des bidonvilles, mais les bidonvilles qui font les Roms. L'être Rom est une esthétique des bas-fonds, nécessitant un établissement dit "informel" ou "indigne" lui collant à la peau. C'est l'informe de son établissement - qui, chez Amnesty International par exemple, sait distinguer la forme de l'informe ? - qui donne à Alain, qui est aussi Rom que je suis Breton, l'identité problématique qui est indécrottablement la sienne aujourd'hui.

S'attaquant à la question posée par la face cachée de l'architecture, le PEROU vise à faire se renverser les représentations à partir d'un travail sur la forme de l'établissement. Evacuer les déchets, faire disparaître les rats, mettre à distance la boue, renforcer les baraques, les isoler de telle sorte à ce qu'elles ne puissent prendre feu, donner à l'espace, à partir des savoirs et savoir-faire des personnes habitant là, une qualité à distance des clichés assassins qui colportent qu'ici tout est branlant, tels sont les enjeux premiers d'une action qui, transformant l'espace, vise la transformation des regards portés sur ceux qui les habitent. Construire, c'est s'émanciper de la figure sulfureuse du dévastateur. Construire, c'est sortir du piège tendu par les identités distribuées de loin, pour tenir à distance des espaces de la communauté légale. Construire, c'est faire entrer le Rom dans l'espace social où vit paisiblement le Breton, c'est faire pencher le bidonville vers la ville.


Un enfant Rom s'est glissé dans cette assemblée.
Sauras-tu le discriminer ?

Huit non Roms se sont glissés dans cette assemblée.
Sauras-tu les discriminer ? 

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