Ci-dessous, fac-similé de la lettre envoyée ce jour par email (et demain par voie postale) à Stéphane Raffali, Maire de Ris-Orangis, suivi de la reproduction dans le corps de ce billet du texte sans doute un peu plus lisible.
Sébastien Thiéry
Coordinateur du PEROU
12, rue Jules César
75012 Paris
A l’attention de Monsieur Stéphane Raffali
Maire de Ris-Orangis
Place du Général de Gaulle
91 130 Ris-Orangis
Paris, le 28 décembre 2012
Monsieur le Maire,
Depuis trois semaines, et à trois reprises exactement, j’ai sollicité auprès de votre directeur de cabinet une rencontre que ce dernier n’a jamais jugé bon d’organiser. A l’occasion d’une brève conversation téléphonique qu’il m’a accordée lundi 24 décembre au matin, celui-ci m’a répété que le PEROU n’était pas fréquentable, et que le fondateur de cette association que je suis s’avérait non digne de votre confiance. Je dois vous avouer avoir un peu de mal à accepter le rôle de délinquant que Monsieur Christian Richomme me prête alors que, vous l’avez sans aucun doute compris, le projet que nous défendons poursuit un seul et unique horizon : défendre les droits des citoyens européens qui ont élu domicile à Ris-Orangis, dans un bidonville situé en lisière de la Nationale 7.
N’ayant pour l’heure aucun moyen de dialoguer avec vous, je suis obligé d’entreprendre un monologue, en l’occurrence l’écriture de cette lettre. J’espère que vous accepterez d’y répondre et, par conséquent, que nous pourrons enfin entrer en relation de travail sur le sujet complexe qui nous concerne : la multiplication de bidonvilles sur notre territoire européen. Vous conviendrez que ce sujet est suffisamment complexe pour que personne, vous et moi y compris, n’ait quelque intérêt que ce soit à alourdir la tâche qui doit collectivement être la notre : répondre à ce genre de situations de telle manière à ce que la République en sorte grandie.
L’arrêté municipal d’interdiction de la fête de Noël du 22 décembre que vous avez signé le 21 décembre fait référence au site Internet ainsi qu’au blog du PEROU - Pôle d’exploration des ressources urbaines. J’ai donc l’assurance que vous avez lu les textes publiés sur ces supports, et compris le sens des actions que met en oeuvre le PEROU sur le territoire de Ris-Orangis comme ailleurs. Je vous épargne par conséquent de nouveaux développements sur les enjeux que défend ce collectif de chercheurs, architectes et acteurs sociaux que je coordonne. Vous savez que nous nous sommes constitués en association afin d’explorer à nouveaux frais les situations de grande précarité urbaine qui jalonnent aujourd’hui nos territoires. Vous savez que nous n’avons pas plus de solutions que l’élu que vous êtes à apporter à ces situations, mais que nous sommes déterminés à inventer d’autres manières d’y répondre avec tous les acteurs concernés, au rang desquels vous figurez nécessairement. Vous savez que nos réseaux sont multiples, qu’ils comprennent des universités et des grandes écoles, de nombreux architectes européens parmi les plus remarqués, et des associations pionnières sur le terrain social. Vous savez que nous ne sommes pas irresponsables comme votre directeur de cabinet s’est plu à l’affirmer lors de ce dernier entretien téléphonique on ne peut plus stérile. Nous faisons bien au contraire de la responsabilité, entendue au sens littéral du terme, notre cheval de bataille, et entreprenons de faire face à la réalité des situations de grande précarité urbaine afin précisément d’y faire réponse. Vous savez encore que nous nous mobilisons contre l’irresponsabilité aujourd’hui «normale» qui conduit, dès lors qu’un bidonville s’établit, à expulser, détruire, et faire ainsi s’accroître la détresse de nos concitoyens européens qui y ont cherché refuge. Car, vous le savez également, l’expérience de ces dix dernières années d’une politique désinvolte à l’endroit des Roms nous enseigne que quiconque prétend nous débarrasser des bidonvilles par l’intervention violente de la pelleteuse contribue à leur fixation et à leur développement : déplacée de quelques centaines de mètres, dans l’urgence et l’effroi, la crise jamais ne se résorbe, mais s’amplifie. Une histoire folle parmi des dizaines d’autres : à Ris-Orangis réside une famille qui, en 8 ans de présence en France dont 6 en Essonne, a connu 16 expulsions. La morale de cette histoire est accablante : le déploiement de moyens policiers colossaux contre cette famille n’a fait que contribuer à sa fixation dans la misère. Vous l’admettrez aisément : pour cette famille comme pour vos administrés exaspérés, poursuivre une telle politique n’est pas responsable.
Confrontée à de telles impasses depuis une dizaine d’années d’activité militante, et ne voyant aucune issue ne se dessiner à l’horizon des politiques publiques aujourd’hui mises en oeuvre, l’Association de Solidarité de l’Essonne pour les Familles Roumaines et Roms a sollicité le PEROU et ses réseaux afin d’expérimenter avec elle de nouveaux chemins. Depuis le mois de septembre, nous avons donc rencontré les familles, et mesuré combien les représentations aujourd’hui en cours de généralisation étaient aussi abjectes que le furent en leurs temps les délires racistes en direction des juifs, des arabes, ou de quelque autre minorité classée de seconde zone. Nous avons compris combien désigner les familles comme la cause de leur propre misère revenait à ajouter le poids de l’insulte à leur incroyable détresse. Nous avons pris conscience de l’urgence qu’il y avait à inviter les citoyens comme les élus à se confronter réellement au problème et à entendre enfin que les Roms ne sont pas le problème, mais ont un problème, notamment causé par la distance et l’aveuglement savamment entretenus par les forces les plus réactionnaires de notre pays. C’est pourquoi nous avons d’abord construit un espace d’interface entre l’ici et l’ailleurs, 30 m2 d’un équipement public éphémère inauguré le 22 décembre et ayant pour fonction d’accueillir les aveuglés que nous sommes collectivement afin de rencontrer les familles et faire nouvelle lumière sur leur histoire, leurs savoirs, leurs désirs, sur leur humanité en un seul mot. L’Ambassade du PEROU est d’abord cela : un lieu à partir duquel doivent se réformer les regards sur ce qui a lieu afin d’imaginer avec les personnes elles-mêmes de nouvelles réponses, humaines et dignes de la République que nous portons en héritage. L’Ambassade du PEROU est donc aussi un outil que nous offrons à vous et à vos services qui, jamais sans doute, ne rencontrez ces familles ailleurs que dans les contextes de violence, de controverse et de diatribes de toutes sortes que vous connaissez par coeur.
Monsieur le Maire, vous vous alarmez à juste titre des conditions sanitaires de vie dans ce bidonville, de l’accumulation de déchets et de la présence de rats. Sachez que grâce à la mobilisation de Rissois, entre autres citoyens responsables, nous avons en quelques semaines évacué près de la moitié des ordures qui s’étaient accumulées là. A titre d’exemple, sachez que rien de moins que 400 sacs de 100 litres nous ont été nécessaires pour venir à bout de la montagne nauséeuse qui macérait à l’endroit où, aujourd’hui, se dresse l’Ambassade du PEROU. Sachez que ce travail se poursuit aujourd’hui, et que certain parmi vos administrés s’improvisent cantonniers pour mener à bien une action que l’élu républicain et socialiste que vous êtes devrait, sinon célébrer, tout au moins soutenir en acceptant de mettre en oeuvre, enfin, un ramassage des déchets digne de ce nom. En quelques jours alors, la situation sanitaire serait stabilisée. Dans le même sens, vous le savez, nous avons entrepris la construction de toilettes sèches, la mise en place d’un système de drainage des eaux de pluie, le traitement de la boue par l’installation de dizaines de mètres cubes de BRF, appliquant ainsi les techniques développées par n’importe quelle collectivité souhaitant assainir un terrain gorgé d’eau. Toutes ces initiatives de bon sens, nous nous appliquons à les poursuivre, ne pouvant nous satisfaire de ce que nous avons jusque là réalisé. Vous le savez, l’usage de la pelleteuse s’avère une technique qui ne vaut rien comparée à celles, élémentaires, que nous mettons ainsi en oeuvre afin de répondre au péril sanitaire que les acteurs publics sont de nos jours si prompts à invoquer, mais si peu enclins à résoudre.
Monsieur le Maire, vous vous alarmez à juste titre des difficultés d’intégration de ces populations migrantes, européennes depuis 2007 mais malheureusement encore soumises en France au statut dit «transitoire», francophiles malgré cela, mais non francophones pour la plupart. Sachez que grâce à la mobilisation d’acteurs associatifs et au soutien financier de partenaires tels que la Fondation Abbé Pierre et la Fondation de France, nous entreprenons de faire de l’Ambassade du PEROU un sas conduisant du bidonville vers la ville, des marges vers le droit commun. Là, nous proposerons dès la rentrée des séances de soutien scolaire et des ateliers d’animation adressés aux jeunes, et en particulier aux onze enfants que vous refusez toujours d’inscrire à l’Ecole de la République, et ce, vous le savez parfaitement en homme de droit que vous êtes, au mépris du droit national comme international. Là, poursuivant le travail d’équipes médico-sociales du Conseil Général qui ont effectué visites médicales et campagnes de vaccination, nous accueillerons les services sociaux et sanitaires de structures qui, dans le cadre d’une MOUS que nous mettons ces jours-ci en place avec l’appui de la DIHAL, coordonneront leurs efforts afin de donner aux familles une perspective en termes de santé, d’insertion professionnelle, et d’accès au logement. Là, avec le concours d’une association spécialisée dans l’innovation sociale, nous ferons s’accomplir leur Service civique à 6 jeunes Roms du bidonville admissibles au dispositif en leur qualité de citoyens européens âgés de 16 à 25 ans. Là, nous accueillerons en résidence des architectes européens, des chercheurs de grandes écoles et d’universités de nos réseaux afin de contribuer, dans l’action, au renouvellement des savoirs sur les bidonvilles contemporains. Là, nous développerons ainsi une activité de laboratoire, grâce notamment au soutien financier du PUCA, organisme interministériel réunissant l’Ecologie et le Logement, qui s’est prononcé favorablement le 12 décembre dernier à la mise en oeuvre de ce projet. Là, durant un an et demi, nous accueillerons tous les acteurs déterminés à explorer de nouvelles manières de répondre à ce genre de situation et, ainsi, à faire école pour les bidonvilles alentours. Là, nous ferons la démonstration qu’un travail constructif peut et doit être entrepris avec des personnes quotidiennement malmenées, et dont les ressources jamais ne sont explorées. Partant du bidonville, prenant soin de l’espace et des hommes qui l’ont investi, nous en partirons enfin par le chemin constructif que nous aurons entrepris. Le 5 juillet 2014, les dernières familles quitteront les lieux pour une situation malheureusement pas idéale, mais sans aucune doute meilleure parce qu’elles auront, entre temps, bénéficié de moyens pour se construire un avenir en échappant à l’urgence qui aujourd’hui les accule à un présent perpetuel, et parce qu’elle se seront émancipées du statut de rebut humain qui leur colle encore à la peau grâce aux simples liens humains qui se seront tissés ici-même. Le 5 juillet 2014, nous restituerons à la collectivité ce terrain situé en lisière de la Nationale 7 et aujourd’hui classé «délaissé de voirie» par le Conseil Général, son propriétaire. Entre temps et grâce à notre travail commun, ce terrain aura sans nul doute gagné en qualité : non plus délaissé, il aura été augmenté de multiples usages, rêvé et imaginé de multiples façons. Tout au moins, aura-t-il été le témoin d’un chantier européen conduit aux seules fins de faire démonstration d’hospitalité, ce dont pourra s’enorgueillir, vous en conviendrez, la commune de Ris-Orangis.
Monsieur le Maire, vous aurez compris que la rencontre que je me permets de solliciter avec insistance auprès de votre cabinet est nécessaire à la mise en place de ce chantier d’envergure. J’espère donc que ce monologue un peu trop long deviendra, grâce à la réponse positive que vous lui donnerez, un dialogue enfin constructif.
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de bien vouloir accepter, Monsieur le Maire, l’expression de mes sentiments les plus républicains.
Sébastien Thiéry
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