mardi 25 décembre 2012

"Le problème Rom"


Vent debout, la gauche unanime s'était indignée du "discours de Grenoble" du 30 juillet 2010, vomissement sarkozyste à l'endroit des "Roms et des gens du voyage" réunis, pour les besoins de la cause xénophobe, dans la catégorie "problème de sécurité publique". L'opposition humaniste s'était alarmée de l'amalgame présidentiel, de l'obsession droitière exigeant que soit confié à l'Intérieur le soin de traiter le dit "problème", et de l'aveugle violence alors déclenchée contre des installations "démantelées" comme on éradique des filières criminelles. Lundi 10 septembre 2012, le Président de la République, qui avait entre temps changé, annonçait envoyer le Ministre de l'Intérieur à Bucarest pour "que ce problème soit traité à la source", et ce au coeur d'une copieuse vague de "démantèlements" de dits "campements" de populations qui ne campent pas, mais cherchent refuge. Pour les Roms, le changement c'est pas maintenant. C'est en substance ce que, dès le 30 août dans Libération, Eric Fassin démontrait dans une tribune finement titrée : "Une xénophobie normale". Entre autres développements cinglants, l'auteur invitait à reconsidérer le paysage politique français à peu près comme suit : un homme de droite prétendra que le réfugié Rom est un problème, un homme de gauche qu'il a un problème. La raison est sauve : François Hollande, président de droite, poursuit "normalement" le travail entrepris par son prédécesseur.

Juste avant de se rendre en Roumanie en vue d'y "fixer" les Roms, parasites étrangement européens, Manuel Valls s'offrit le 11 septembre une conférence de presse stupéfiante pour un ministre de droite. Alors qu'il aurait pu se contenter d'un cynique communiqué évoquant la détresse de Roms que ses services terrorisent et humilient, il s'est emporté jusqu'à les qualifier de "damnés de la Terre", faisant ainsi référence au crucial ouvrage de Franz Fanon, lecture de chevet du Black Panthers Party. Manuel Valls a peut-être lu Franz Fanon, théoricien de l'émancipation subjective et politique des peuples méprisés, comme le furent les espagnols soumis à la dictature franquiste que ses propres parents fuirent dans les années 40. Manuel Valls a peut-être connu la terreur et l'humiliation, et trouvé dans Les Damnés de la Terre un souffle, une raison. Comment peut-il aujourd'hui à ce point déraisonner ? S'il n'était pas question ici de la vie de familles Roms soumises aux paroles scabreuses et aux actes délirants de nos responsables politiques, une question plus triviale aurait pu nous occuper : Manuel Valls est-il un problème, ou a-t-il un problème ? ­
Franz Fanon s'affirmerait aujourd'hui Rom parmi les Roms, peuple colonisé par des regards assassins l'assignant à résidence d'une identité problématique. Dans la France d'aujourd'hui, les Roms sont assujettis à un être-délinquant, ne souffrant pas comme tout le monde au travail légal. Leur douleur n'est pas belle, elle est obscène, feinte pour tout dire, tant ils ne peuvent manquer de s'organiser dans l'ombre de nos métropoles. Ici-même, les Roms sont assujettis à un être-parasitaire, ne jouissant pas comme tout le monde d'un logement propre. Leur habitat n'est pas digne, il transpire les bas-fonds, et germe telle une souillure physique voire morale exigeant que la civilisation nous en débarrasse. Contre cette aliénation qui condamne au silence l'humanité qu'ils sont, des voix se sont levées, des textes déversés, des films dressés. Patente est l'impuissance de nos formes communes d'indignation, incapables d'ébranler les images : désormais ordinaire, la violence faite à ces "insalubres" ne peut que se généraliser.

"Comment guérir le colonisé de son aliénation ?", questionnait Franz Fanon à contre-pied du réflexe d'indignation. Les Black Panthers l'ont compris, renonçant à "sensibiliser" le blanc pour enfin recevoir une improbable "reconnaissance", ou bénéficier de quelque hypothétique "solution" que ce soit. Ils arrachèrent bravement leurs droits avec quelques blancs affranchis, construisirent des écoles, créèrent un système de sécurité sociale, bâtirent leur histoire. Ainsi se sont-ils engagés sur le chemin d'une émancipation lourde de conséquences, à la force d'actes de création qui seuls peuvent renverser les regards assassins. Il n'y a pas de problème Rom, ni d'ailleurs de problème afghan, kosovar, ou polonais, mais que des réponses humaines à des situations qui ne le sont pas. Il n'y a plus à vociférer son indignation, mais à risquer des actes de construction qui, convoquant le geste et la parole de cette multitude devant le monde, l'arrache au statut d'immondice qu'un pouvoir de droite continue de lui coller à la peau.


Texte écrit pour la revue Mouvement en novembre 2012 en préfiguration de l'action du PEROU qui alors s'inventait.


Robert et Ricardo, deux enfants apparemment sans problème.
Scolarisés à Viry-Châtillon, ils vivent dans une baraque à
Ris-Orangis.

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